Nations Unies

CAT/C/ECU/CO/7

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

11 janvier 2017

Français

Original : espagnol

Comité contre la torture

Observations finales concernant le septième rapportpériodique de l’Équateur *

Le Comité contre la torture a examiné le septième rapport périodique de l’Équateur (CAT/C/ECU/7) à ses 1462e et 1465e séances (voir CAT/C/SR.1462 et 1465), les 8 et 9 novembre 2016, et a adopté les présentes observations finales à sa 1490e séance, le 28 novembre 2016.

A.Introduction

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative pour l’établissement des rapports, qui permet de mieux cibler le dialogue entre l’État partie et le Comité. Il regrette toutefois que le rapport périodique ait été soumis avec presque un an de retard.

Le Comité se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation de l’État partie et accueille avec intérêt les renseignements complémentaires reçus à l’occasion de l’examen du rapport périodique.

B.Aspects positifs

Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a ratifié tous les instruments fondamentaux relatifs aux droits de l’homme en vigueur ou y a adhéré.

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption par l’État partie des mesures législatives ci-après dans des domaines relevant du champ d’application de la Convention :

a)La promulgation du Code pénal (premier supplément au Journal officiel  n o 180, 10 février 2014) ;

b)L’adoption de la loi visant à assurer réparation aux victimes et à traduire en justice les auteurs de graves violations des droits de l’homme et de crimes contre l’humanité commis en Équateur entre le 4 octobre 1983 et le 31 décembre 2008 (premier supplément au Journal officiel n o  143, 13 décembre 2013) ;

c)La promulgation de la loi organique sur l’éducation interculturelle (Journal officiel n o  417, 31 mars 2011), en particulier les dispositions relatives à la protection et au soutien des élèves victimes de violences, de mauvais traitements, d’exploitation sexuelle ou d’autres formes de maltraitance ;

d)L’adoption de la loi organique relative aux Conseils nationaux pour l’égalité (deuxième supplément au Journal officiel n o 283, 7 juillet 2014).

Le Comité prend note avec satisfaction des initiatives prises par l’État partie pour modifier ses politiques et ses procédures de manière à assurer une meilleure protection des droits de l’homme et à appliquer la Convention, et salue en particulier :

a)La mise en œuvre du plan de formation à la prévention de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’intention des membres des forces armées ;

b)L’adoption du protocole de prise en charge des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués privés de liberté (arrêté ministériel no 1265 du 4 juillet 2016) ;

c)L’adoption du règlement régissant le travail salarié des personnes purgeant une peine privative de liberté (arrêté ministériel no MDT‑2005‑0004 du 22 mai 2015) ;

d)Le transfert de la gestion et de la fourniture des services de santé dans les centres de détention au Ministère de la santé publique (décret interministériel no 00004906 du 26 juin 2014) ;

e)La mise à jour en 2014 du Plan national pour l’élimination de la violence sexiste contre les enfants, les adolescents et les femmes et l’approbation d’un plan d’action pour la période 2015-2017 ;

f)L’adoption du Plan national pour le bien‑vivre 2009 2013.

Le Comité se félicite de la création du mécanisme national de prévention de la torture au sein du Bureau du Défenseur du peuple, en vertu de l’accord no 11-DPN-2011 du 8 novembre 2011.

Le Comité apprécie les efforts considérables que l’État partie a déployés pour répondre à l’afflux massif sur son territoire de demandeurs d’asile, de personnes ayant besoin d’une protection internationale et de migrants sans papiers. Selon les informations fournies par la délégation de l’État partie, 60 253 personnes ont été reconnues comme réfugiés, pour la plupart des ressortissants colombiens.

Enfin, le Comité constate avec satisfaction que l’État partie maintient l’invitation permanente qu’il avait adressée aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions soulevées lors du précédent cycle de présentation de rapportsappelant un suivi

Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni en temps voulu les informations demandées dans ses observations finales précédentes (voir CAT/C/ECU/CO/4‑6, par. 28.) sur la mise en œuvre de mesures de suivi concernant la protection des médecins légistes et des défenseurs des droits de l’homme ; les mauvais traitements infligés à des demandeurs d’asile et des réfugiés et le refoulement de ceux-ci ; la violence et les mauvais traitements à l’égard d’enfants et les violences sexuelles sur mineurs; les conditions de détention (art. 19).

Définition et incrimination de la torture

Le Comité prend note des explications fournies par la délégation de l’État partie mais considère que la définition de l’infraction de torture figurant à l’article 151 du Code pénal est incomplète car il n’y est pas fait mention, comme l’exige la Convention, de la finalité de l’acte en question et il n’y est pas indiqué que l’auteur visé est un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite (art. 1).

L’État partie devrait mettre l’article  151 de son Code pénal en conformité avec les dispositions de l’article premier de la Convention afin de préciser la qualité l’auteur de l’infraction visé ainsi que les motifs ou causes de l’utilisation de la torture. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le paragraphe 9 de son observation générale n o 2 (2007) relative à l’application de l’article 2 par les États parties, dans lequel il est dit que si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l’impunité. Le Comité indique également dans cette observation générale que les définitions de portée plus vaste inscrites dans les lois nationales servent également l’objet et le but de la Convention pour autant, à tout le moins, qu’elles contiennent les normes énoncées dans la Convention et qu’elles soient mises en œuvre conformément à ces normes.

Garanties juridiques fondamentales

Compte tenu des garanties fondamentales reconnues aux détenus dans la législation équatorienne, le Comité regrette que l’État partie n’ait fourni que peu d’informations sur les mesures et les procédures permettant d’assurer le respect de ces garanties dans la pratique, en particulier du droit d’informer immédiatement un proche ou un tiers de son choix de sa détention. Le Comité est en outre préoccupé par les informations faisant état d’insuffisances dans le système d’attribution des affaires au Bureau du Défenseur public et de leurs répercussions sur les services de conseil juridique dispensés par les défenseurs publics et les auxiliaires de justice (art. 2).

L’État partie devrait veiller à ce que les personnes privées de liberté bénéficient, dans la pratique, dès leur arrestation, de toutes les garanties juridiques fondamentales, y compris du droit de solliciter sans délai l’assistance d’un avocat et du droit d’informer immédiatement un tiers de leur détention.

Mécanisme national de prévention

Malgré les explications fournies par la délégation, le Comité demeure préoccupé par la fragilité du cadre normatif relatif au mécanisme national de prévention de la torture et par les ressources limitées dont celui‑ci dispose. Le Comité constate également l’absence, entre le mécanisme national de prévention et les autorités gouvernementales compétentes, notamment le Ministère de la justice, des droits de l’homme et du culte, d’un dialogue fluide qui permette de donner effet aux recommandations issues des activités de contrôle (art. 2).

L’État partie devrait prendre les mesures, notamment législatives, nécessaires pour que le mécanisme national de prévention de la torture repose sur une base juridique solide et dispose de ressources suffisantes pour accomplir sa tâche efficacement et en toute indépendance, conformément aux dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. À cette fin, le Comité prie instamment l’État partie d’adopter le projet de loi organique relative au Bureau du Défenseur du peuple, en particulier le chapitre consacré au mécanisme national de prévention de la torture. Le Comité engage également l’État partie à instaurer avec le mécanisme national de prévention un dialogue permanent qui facilite la mise en œuvre et le suivi effectifs des recommandations issues de ses activités de contrôle. L’État partie devrait publier et diffuser largement les rapports annuels du mécanisme national de prévention, conformément aux Directives du Sous ‑Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants concernant les mécanismes nationaux de prévention (voir CAT/OP/12/5, par. 9). Enfin, le Comité invite instamment l’État partie à autoriser la publication du rapport du Sous-Comité sur la visite de conseil qu’il a effectuée auprès de son mécanisme national de prévention du 1 er au 4  septembre 2014.

Indépendance de la magistrature

Malgré les explications détaillées fournies par la délégation de l’État partie au sujet de la réforme judiciaire, le Comité demeure préoccupé par les informations dénonçant une ingérence politique dans les décisions judiciaires, l’application de sanctions disciplinaires aux juges qui auraient rendu des décisions contraires aux intérêts du Gouvernement et la destitution contestable de centaines de juges, ainsi que la nomination de fonctionnaires proches du pouvoir exécutif comme magistrats de la Cour nationale de justice et de la Cour constitutionnelle et responsables du Conseil de la magistrature (art. 2).

L’État partie devrait garantir que les juges puissent exercer leurs fonctions en toute indépendance et impartialité. Il devrait également faire en sorte que le régime disciplinaire de l’ordre judiciaire et le système de nomination, de promotion et de révocation des juges soient conformes aux normes internationales pertinentes, notamment aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature.

Justice autochtone

Le Comité constate avec préoccupation que, malgré la teneur de ses observations finales précédentes (voir CAT/C/ECU/CO/4-6, par. 20), le projet de loi relative à la coordination et la coopération entre la justice autochtone et la justice de droit commun se trouve encore en souffrance devant l’Assemblée nationale (art. 2).

Le Comité encourage l’État partie, conformément aux prescriptions de l’article 171 in fine de la Constitution de l’Équateur, à adopter les mesures législatives nécessaires pour mettre en place de s mécanismes de coordination et de coopération entre la juridiction autochtone et la juridiction ordinaire qui garantissent le respect des droits et libertés fondamentaux, y compris l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Réfugiés et non-refoulement

Le Comité prend note des explications données par la délégation mais demeure préoccupé par les informations indiquant que l’État partie pourrait avoir eu recours à des pratiques contraires au principe de non‑refoulement, en particulier aux postes frontière aéroportuaires. Le Comité est également préoccupé par le contenu de l’article 34 du Règlement d’application du droit d’asile en Équateur (décret no 1182), qui autorise des exceptions au principe de non‑refoulement dans le cas de demandeurs d’asile considérés comme représentant un danger pour la sécurité ou l’ordre public ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime particulièrement grave, constituent une menace. À cet égard, le Comité rappelle que l’article 3 de la Convention confère une protection absolue à toute personne se trouvant sur le territoire d’un État partie, sans considération pour la qualité de cette personne ou sa dangerosité sociale (voir les communications no 475/2011, Nasirov c. Kazakhstan, par. 10.4, et no 444/2010, Abdussamatov c. Kazakhstan, par. 13.7). En outre, le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations actualisées sur la situation à la frontière avec la Colombie ni sur le recours aux assurances diplomatiques comme protection contre la torture et les mauvais traitements (art. 3).

L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que nul ne puisse être expulsé, refoulé ou extradé vers un autre pays lorsqu’il existe des raisons fondées de croire qu’il courrait un risque personnel et prévisible d’y être soumis à la torture ;

b) Abroger ou modifier les dispositions qui autorisent des exceptions au principe de non-refoulement, en particulier l’article 34 du Règlement d’application du droit d’asile en Équateur ;

c) Fournir des informations sur sa pratique relative à l’utilisation d’assurances diplomatiques pour justifier l’expulsion d’un ressortissant étranger lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture, et expliquer en quoi cette pratique est compatible avec l’article 3 de la Convention.

Enquêtes et poursuites concernant des violations graves des droits de l’hommecommises dans le passé

Malgré les explications données par la délégation de l’État partie au sujet des résultats obtenus dans les enquêtes et les poursuites concernant les violations graves des droits de l’homme, y compris lesactes de torture, commises en Équateur entre 1984 et 2008, le Comité demeure préoccupé par la lenteur des progrès réalisés dans les enquêtes conduitessur les cas de torture, de disparition forcée et d’exécution extrajudiciaire recensés par la Commission Vérité dans son rapport final, ainsi que par le faible nombre de poursuites pénales engagées à ce jour. En outre, le Comité prend note des renseignements fournis par la délégation au sujet des progrès réalisés dans l’exécution de l’arrêt rendu le 7 septembre 2004 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Tibi vs. Ecuador (art. 2, 12 à 14 et 16).

Rappelant sa précédente recommandation (voir CAT/C/ECU/CO/4 ‑6, par. 17), le Comité engage l’État partie à prendre les mesures voulues pour garantir la conduite d’enquêtes efficaces et impartiales sur tous les cas présumés de torture, de disparition forcée et d’exécution extrajudiciaire non résolus, à poursuivre les auteurs présumés et, s’il y a lieu, à les punir, et à indemniser les victimes ou leur famille.

Conditions de détention

Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour améliorer les conditions d’existence des personnes privées de liberté, notamment l’ouverture récente de trois centres pénitentiaires d’une capacité totale de 12 074 places, mais est préoccupé par les restrictions imposées en ce qui concerne les visites aux détenus, ainsi que par le transfert de détenus vers des prisons éloignées du lieu de résidence de leur entourage familial et social, en application du nouveau modèle d’administration pénitentiaire. En outre, le Comité demeure préoccupé par les taux d’occupation élevés de plusieurs centres de détention et par les fréquents épisodes de violence entre détenus. Il note également avec préoccupation qu’en dépit du transfert de compétences au Ministère de la santé publique, les services de santé et de soins médicaux des centres de détention continuent de présenter des insuffisances. Enfin, le Comité est préoccupé par les plaintes dénonçant le caractère intrusif et vexatoire des procédures d’enregistrement auxquelles doivent se soumettre les personnes qui rendent visite aux détenus, en particulier les femmes (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait :

a) Redoubler d’efforts pour réduire le surpeuplement carcéral, principalement en recourant à des peines non privatives de liberté, et poursuivre les travaux de rénovation des installations pénitentiaires existantes  ;

b) Garantir la sécurité à l’intérieur des prisons en dispensant la formation voulue aux agents pénitentiaires et en élaborant des stratégies propres à faire reculer la violence entre les détenus  ;

c) Garantir l’allocation des ressources nécessaires pour assurer aux détenus des services médicaux et des soins de santé adéquats  ;

d) Veiller à ce que les détenus soient autorisés à communiquer régulièrement avec les membres de leur famille et avec leurs proches et, dans la mesure du possible, à ce qu’ils soient détenus dans un établissement pénitentiaire situé à proximité de leur lieu de résidence ou de réinsertion sociale, conformément aux principes énoncés aux articles 58 et 59 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela)  ;

e) Veiller à ce que les procédures d’enregistrement et d’admission des visiteurs dans les centres de détention ne soient pas dégradantes (art. 60 des Règles Nelson Mandela).

Régime d’isolement

Le Comité prend note avec préoccupation des informations dénonçant le placement à l’isolement pour des périodes prolongées de détenus considérés comme très dangereux, ainsi que l’utilisation de cellules dites « de réflexion » comme sanction disciplinaire dans les centres de détention pour mineurs (art. 11 et 16).

L’État partie devrait mettre sa législation et ses pratiques en matière d’isolement en conformité avec les normes internation ales énoncées dans les articles  43 à 46 des Règles Nelson Mandela. Il devrait en particulier :

a) Veiller à ce que le placement à l’isolement ne constitue qu’une mesure de dernier recours, appliquée pendant la période la plus brève possible et soumise à des conditions strictes de supervision et de contrôle judiciaire  ;

b) Interdire l’application du régime d’isolement aux mineurs en conflit avec la loi.

Décès en détention

Le Comité note avec préoccupation que malgré les demandes répétées qu’il lui a adressées dans ce sens, l’État partie n’a pas soumis de données statistiques sur les suicides enregistrés dans les centres de détention pendant la période considérée, ni sur les enquêtes éventuellement menées sur de tels décès. Il n’a pas non plus fourni de renseignements sur les protocoles à suivre dans ces situations (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait mener sans délai une enquête approfondie et impartiale sur chaque cas de décès en détention afin de déterminer la responsabilité éventuelle des agents pénitentiaires et, le cas échéant, punir les coupables comme il convient et offrir une réparation appropriée à la famille de la victime. Le Comité engage l’État partie à soumettre des données détaillées sur les cas enregistrés de décès en détention, ventilées selon le lieu de détention, le sexe, l’âge, l’origine ethnique ou la nationalité de la personne décédée et la cause du décès.

Plaintes pour torture et mauvais traitements dans des centres de détention

Le Comité prend note des informations communiquées par la délégation sur l’enquête en cours au sujet des sévices qui auraient été infligés aux détenus du centre régional Sierra Sur Turi, à Cuenca, le 31 mai 2016. Il regrette toutefois de n’avoir reçu aucune information concernant l’enquête sur les mauvais traitements qui auraient été infligés à des mineurs détenus dans les centres pour jeunes délinquants de Quito, Machala et Ambato (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité demande à l’État partie de lui soumettre des informations complètes sur les résultats de l’enquête menée au sujet des sévices qui auraient été infligés à des détenus du centre régional Sierra Sur Turi . L’État partie devrait également mener des enquêtes sur les plaintes pour mauvais traitements infligés à des mineurs détenus dans des centres pour jeunes délinquants et informer le Comité de l’issue de celles-ci.

Mécanisme d’inspection et dépôt de plaintes

S’il prend note du fait que, selon la délégation de l’État partie, les membres du mécanisme national de prévention de la torture peuvent accéder sans restrictions aux centres de détention, le Comité reste préoccupé par les informations selon lesquelles ils n’ont pas été autorisés à se rendre dans plusieurs de ces centres. Il s’inquiète en outre de ce que les centres de détention ne sont toujours pas dotés d’un dispositif interne destiné à recevoir les plaintes et les réclamations des personnes privées de liberté (art. 2, 11 à 13 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que tous les lieux de détention fassent l’objet d’inspections régulières et indépendantes, et donc donner aux membres du mécanisme national de prévention de la torture et aux représentants des organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme les autorisations nécessaires pour y accéder. Il devrait également garantir le droit qu’ont les personnes privées de liberté de présenter des plaintes et des réclamations aux autorités compétentes et évaluer régulièrement l’efficacité des dispositifs prévus à cet effet.

Enquêtes sur les plaintes pour actes de torture ou autresmauvais traitements

D’après les informations fournies par l’État partie, entre 2010 et le début de 2016, le Bureau du Procureur général a été saisi de 170 plaintes concernant des actes de torture, dont 59 portaient sur des faits survenus dans la province de Guayas. Cela étant, l’État partie n’a fourni aucun renseignement pour la période comprise entre mars et décembre 2014. Entre 2013 et 2016, cinq personnes auraient été reconnues coupables d’actes de torture, mais le Comité n’a pas été informé des sanctions pénales ou disciplinaires imposées (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité engage l’État partie :

a) À veiller à ce que toutes les plaintes pour torture ou autres mauvais traitements donnent rapidement lieu à une enquête impartiale menée dans le cadre d’un mécanisme indépendant par des personnes n’ayant aucun lien institutionnel ou hiérarchique avec les auteurs présumés  ;

b) À faire en sorte que les auteurs présumés soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à une peine proportionnée à la gravité de leurs actes  ;

c) À veiller à ce que les autorités procèdent d’office à une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de penser que des actes de torture ou d’autres mauvais traitements ont été commis  ;

d) À faire en sorte que les auteurs présumés d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements soient relevés de leurs fonctions immédiatement et pour toute la durée de l’enquête, à plus forte raison lorsque le maintien en poste risquerait de faciliter la récidive, les représailles contre les victimes présumées ou l’obstruction de l’enquête  ;

e) Fournir au Comité des données statistiques complètes sur le nombre de plaintes pour actes de torture ou autres mauvais traitements enregistrées pendant la période considérée.

Protection des victimes et des témoins

Tout en étant conscient des efforts déployés par l’État partie en vue de combler les graves lacunes du système de protection des victimes et des témoins signalées par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires (voir A/HRC/17/28/Add.2, par. 78 à 82 et 96 à 98), le Comité est préoccupé par le manque d’informations concernant les mesures prises pour protéger les membres du réseau national d’experts légistes depuis le meurtre, en 2010, de Germán Antonio Ramírez Herrera, médecin légiste spécialisé dans les enquêtes sur les cas de torture. De surcroît, le Comité n’a pas reçu de renseignements à jour sur les poursuites pénales auxquelles a donné lieu l’enquête menée par le Bureau du Procureur général au sujet de ce meurtre (art. 13).

L’État partie devrait continuer de renforcer les capacités du système national de protection des victimes et des témoins afin que les victimes et les témoins d’actes de torture, y compris les experts légistes, bénéficient effectivement d’une assistance et d’une protection. Le Comité demande instamment à l’État partie de lui rendre compte des résultats de l’enquête sur l’assassinat du médecin légiste Germán Antonio Ramírez Herrera et des poursuites pénales auxquelles elle a donné lieu, le cas échéant.

Recours excessif à la force contre des manifestants

Le Comité est préoccupé par les nombreuses allégations selon lesquelles des personnes ayant participé ou simplement assisté à des manifestations tenues en 2015 ont été victimes d’un recours excessif à la force et de détention arbitraire. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations détaillées sur les enquêtes menées à ce sujet, ni sur le nombre d’actions pénales engagées contre des manifestants accusés de terrorisme et de sabotage (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait faire en sorte que toutes les allégations de recours excessif à la force et de détention arbitraire par des policiers ou des militaires donnent lieu à une enquête rapide, efficace et impartiale, et que les auteurs présumés soient jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à une peine proportionnée à la gravité de leurs actes. Il devrait également faire en sorte que les victimes se voient offrir une réparation adéquate. En outre, il devrait veiller à ce que tous les membres des forces de sécurité soient dûment formés en ce qui concerne l’emploi de la force et réglementer l’utilisation des armes à feu par les forces de sécurité conformément aux Principes de base de 1990 sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.

Réparation et réadaptation

Tout en étant conscient des efforts déployés par l’État partie en vue d’offrir réparation aux victimes des violations des droits de l’homme recensées par la Commission Vérité, le Comité constate avec préoccupation qu’à ce jour, seuls 10 accords d’indemnisation ont été conclus et une seule victime s’est vu accorder une indemnité pécuniaire conformément à la loi sur les réparations dues aux victimes. De surcroît, il déplore le manque d’informations au sujet des mesures de réparation, et notamment d’indemnisation, ordonnées par les tribunaux et d’autres institutions publiques dans d’autres cas de tortures et de mauvais traitements survenus au cours de la période considérée (art. 14).

Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o  3 (2012), concernant l’application de l’article 14 par les États parties, dans laquelle il a expliqué la teneur et la portée de l’obligation faite aux États parties de veiller à ce que les victimes d’actes de torture obtiennent pleine réparation et se voient donner les moyens nécessaires à une réadaptation complète. Il engage l’État partie :

a) À accélérer la procédure suivie devant le Ministère de la justice, des droits de l’homme et du culte et le Bureau du Défenseur du peuple pour obtenir une indemnisation au titre de la loi sur les réparations dues aux victimes  ;

b) À veiller à ce que les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements obtiennent pleine réparation pour le préjudice subi, notamment une indemnisation juste et adéquate, et se voient donner les moyens nécessaires à la réadaptation la plus complète possible  ;

c) À fournir des renseignements à jour sur les mesures de réparation et d’indemnisation accordées aux victimes d’actes de torture ou à leur famille.

Défenseurs des droits de l’homme et journalistes en situation de risque

S’il prend note de la protection offerte par l’Accord sur l’application de mesures provisoires de protection et de mesures urgentes, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et d’autres représentants de la société civile sont victimes de harcèlement et d’intimidation. Il s’inquiète en outre de l’ampleur des pouvoirs octroyés au Secrétariat national de la communication, habilité par les décrets nos 16 (4 juin 2013) et 739 (21 août 2015) à contrôler les activités des organisations non gouvernementales et à dissoudre ces organisations (art. 13 et 16).

Le Comité demande instamment à l’État partie :

a) De protéger les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et les autres représentants de la société civile contre les actes d’intimidation et de violence auxquelles leurs activités sont susceptibles de les exposer  ;

b) De veiller à ce que toutes les menaces et agressions visant des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des membres d’organisations de la société civile donnent rapidement lieu à des enquêtes impartiales  ;

c) De prendre les mesures nécessaires pour que les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme et les autres représentants de la société civile puissent exercer leurs activités en toute liberté, sans interférence ni restriction injustifiées.

Criminalisation de l’interruption volontaire de grossesse en cas de viol

Compte tenu des taux élevés de violence sexiste et de violence sexuelle enregistrés dans le pays (voir CEDAW/C/ECU/CO/8-9, par. 20 et 21), le Comité est préoccupé par les restrictions à l’avortement prévues par le droit pénal de l’État partie, qui n’autorise l’interruption volontaire de grossesse que si la vie ou la santé de la mère est exposée à un danger qui ne peut être évité par d’autres moyens ou si la grossesse est la conséquence du viol d’une femme souffrant d’un handicap mental. Le Comité note avec préoccupation les graves risques que ces restrictions font peser sur la santé des femmes victimes de viol qui décident d’avorter, ainsi que les conséquences pénales que cette décision peut avoir, notamment le fait que les femmes qui se font avorter comme les médecins qui pratiquent des avortements sont passibles de peines d’emprisonnement (art. 2 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que les femmes victimes de viol qui décident d’interrompre leur grossesse puissent avorter en toute légalité et dans des conditions sûres.

Violences sexuelles et mauvais traitements infligés à des mineurs dans des centres éducatifs

Le Comité exprime à nouveau sa consternation face au fait que des mineurs continuent d’être victimes de mauvais traitements et de violences sexuelles dans des centres éducatifs. S’il prend bonne note des diverses mesures, notamment législatives, adoptées par l’État partie à cet égard, il constate avec préoccupation qu’entre 2012 et 2014, 343 plaintes ont été déposées pour des infractions sexuelles commises dans des centres éducatifs. Le Comité regrette l’absence de données officielles sur le nombre de plaintes instruites, de procès engagés et de condamnations prononcées durant la période considérée. Il sait cependant gré à la délégation de l’État partie des informations qu’elle lui a fournies au sujet de la sanction pénale imposée à Jorge Glas Viejó, ainsi que des précisions qu’elle lui a apportées concernant le déroulement de l’affaire Paola Guzmán vs . Ecuador, portée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Toutefois, il constate que, selon toute apparence, les victimes ne sont pas protégées contre d’éventuelles représailles (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité réitère ses précédentes observations finales (voir CAT/C/ECU/CO/4-6, par. 18) et demande instamment à l’État partie de continuer de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et éliminer les mauvais traitements et les violences sexuelles à l’encontre de mineurs dans les centres éducatifs. En outre, il engage l’État partie à faire en sorte que tous les actes de ce type fassent rapidement l’objet d’une enquête efficace et impartiale, que leurs auteurs soient traduits en justice et que les victimes obtiennent réparation et se voient accorder la protection et l’appui nécessaires . Enfin, l’État partie devrait fournir des données statistiques complètes sur le nombre de plaintes reçues et instruites, ainsi que sur le nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées dans ces affaires.

Violences fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre

Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres sont internés de force et soumis à des mauvais traitements dans des centres privés où sont pratiquées des « thérapies de réorientation sexuelle ou de déshomosexualisation ». Il constate avec inquiétude que malgré la fermeture de 24 centres de ce type, à ce jour, les procédures engagées par le ministère public n’ont abouti à aucune condamnation. En outre, il condamne fermement les meurtres d’homosexuels et de transgenres commis au cours de la période considérée (art. 2 et 16).

L’État partie doit faire en sorte que tous les actes de violence motivés par l’orientation sexuelle et l’identité de genre donnent lieu à une enquête afin que leurs auteurs soient jugés et punis. Il doit également mener des activités de sensibilisation du public en vue de combattre la stigmatisation dont sont victimes les personnes LGBT.

Aveux obtenus sous la contrainte

S’il prend note du fait que la Constitution et le Code pénal interdisent l’admission des éléments de preuve obtenus en violation des droits et des garanties fondamentaux, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas donné d’exemples récents d’affaires rejetées par les tribunaux au motif que les preuves avaient été obtenues par la torture ou d’autres mauvais traitements (art. 15).

L’État partie devrait adopter des mesures efficaces garantissant dans la pratique l’inadmissibilité des aveux obtenus par la torture ou d’autres mauvais traitements. Il lui faut en outre renforcer les programmes de formation professionnelle des juges et des agents du ministère public , afin que ces personnes soient en mesure de repérer les cas de torture et de mauvais traitement et d’enquêter efficacement sur toutes les plaintes pour de tels actes.

Formation

Le Comité prend acte des efforts déployés par l’État partie en ce qui concerne l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de formation aux droits de l’homme, y compris aux dispositions de la Convention, destinés spécifiquement aux fonctionnaires de la Police nationale et aux agents pénitentiaires. Il regrette toutefois l’absence de renseignements sur les programmes de formation spécialisée destinés aux professionnels directement chargés d’enquêter sur les cas de torture et d’établir la réalité des faits, ainsi qu’au personnel médical et aux autres personnes qui s’occupent des détenus, sur les moyens de déceler les séquelles physiques et psychologiques de la torture et des mauvais traitements et d’étayer leurs constatations (art. 10).

L’État partie devrait :

a) Poursuivre l’élaboration de programmes de formation continue et la révision de ceux qui sont déjà en place afin que tous les agents de l’État, en particulier les membres de la Police nationale et les agents pénitentiaires, connaissent parfaitement les dispositions de la Convention et soient pleinement conscients que les infractions ne seront pas tolérées et, qu’au contraire, elles donneront lieu à des enquêtes et que leurs auteurs seront poursuivis  ;

b) Élaborer des programmes de formation sur les techniques d’enquête non coercitives  ;

c) Veiller à ce que tous les personnels concernés, notamment les membres du corps médical, soient spécifiquement formés à détecter les signes de torture et de mauvais traitements et à établir la réalité des faits, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul)  ;

d) Élaborer et appliquer une méthode permettant d’évaluer l’efficacité des programmes de formation sur la Convention et le Protocole d’Istanbul.

Mauvais traitements infligés aux aspirants policiers

Le Comité se déclare préoccupé par les informations indiquant que les aspirants policiers sont victimes de violences et prend note des renseignements fournis par la délégation sur l’enquête en cours concernant les allégations de mauvais traitements à l’école de formation de la police nationale « Gustavo Noboa Bejarano » dans la province de Manabí. Cependant, l’État partie n’a pas fourni de renseignements sur les mesures prises pour que des faits similaires ne se reproduisent pas (art. 2 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que des enquêtes rapides, impartiales et approfondies soient menées sur toutes les allégations de mauvais traitements infligés à des aspirants policiers, et à ce que les responsables de ce type de violences soient condamnés à des peines appropriées. L’État partie est encouragé à fournir des informations détaillées sur les mesures concrètes adoptées pour prévenir de tels actes et y mettre un terme.

Procédure de suivi

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 7 décembre 2017, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 32 (plaintes pour torture et mauvais traitements dans des centres de détention), 38 (protection des victimes et des témoins) et 48 (violences sexuelles et mauvais traitements infligés à des mineurs dans des centres éducatifs). L’État partie est également invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, pendant la période que couvrira son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations figurant dans les présentes observations finales.

Questions diverses

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité invite l’État partie à soumettre son huitième rapport périodique au plus tard le 7 décembre 2020. L’État partie ayant accepté d’établir son rapport conformément à la procédure simplifiée, le Comité lui fera parvenir en temps utile une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son huitième rapport périodique soumis en application de l’article 19 de la Convention.