Présentée par:

M. Joseph Kavanagh(représenté par M. Michael farrell)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Irlande

Date de la communication:

8 juillet 2002(date de la communication initiale)

Références:

Néant

Date de la présente décision:

25 octobre 2002

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

− Soixante-seizième session −

concernant la

Communication no 1114/2002**

Présentée par:

M. Joseph Kavanagh(représenté par M. Michael Farrell)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Irlande

Date de la communication:

8 juillet 2002(date de la communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication, datée du 8 juillet 2002, est Joseph Kavanagh, citoyen irlandais, né le 27 novembre 1957. Il est actuellement incarcéré à la prison de Mountjoy (Dublin). Il affirme être victime de violations par la République d’Irlande du paragraphe 3 a) et b) de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 4 avril 2001, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au sujet de la communication 819/1998, concluant que le droit de l’auteur à l’égalité devant la loi, qui est garanti à l’article 26 du Pacte, avait été violé puisque le Procureur général l’avait déféré devant un tribunal pénal spécial sans justifier le choix d’une telle juridiction dans le cas de l’auteur. Le Comité a fait observer dans ses constatations que l’auteur avait droit à un «recours utile». L’État partie était «également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir; «il devait» assurer que nul ne soit renvoyé devant le Tribunal pénal spécial si la décision à cet effet n’est pas justifiée par des motifs objectifs et raisonnables dont l’intéressé a été informé».

2.2Le 28 avril 2001, après avoir reçu les constatations du Comité, le conseil a écrit au Ministre de la justice, de l’égalité et de la réforme juridique demandant la libération de l’auteur et indiquant qu’à défaut de cela une action en justice serait intentée pour faire valoir ses droits. Il a été officiellement accusé réception de la lettre du conseil le 30 avril 2001. Comme, selon la pratique irlandaise, les requêtes visant à contester la détention d’une personne sont déposées le plus tôt possible, le 3 mai 2001, l’auteur a adressé une requête ex parte à la Haute Cour. Dans cette requête, il demandait l’annulation de sa condamnation, la reconnaissance de l’incompatibilité du paragraphe 2 de l’article 47 de la loi sur les atteintes à la sûreté de l’État (Offences Against the State Act) de 1939 avec le Pacte et la Constitution, sa libération sous caution en attendant l’issue de la procédure, le paiement de dommages et d’autres indemnités et de frais. La requête était fondée sur les constatations du Comité et l’affirmation selon laquelle le Gouvernement était tenu en vertu de la Constitution et du principe de la confiance légitime de donner suite à ces constatations.

2.3Les 20 et 21 juin 2001, la demande d’autorisation de faire appel de l’auteur a été examinée par la Haute Cour; l’État s’est opposé à l’octroi de l’autorisation. L’avocat de l’auteur a fait valoir que même si le Pacte n’était pas expressément incorporé à la législation irlandaise et n’était pas donc devenu directement opposable au niveau local, ses dispositions et/ou ses principes faisaient désormais partie du droit international coutumier et étaient à ce titre obligatoires. Il a également affirmé que le fait que l’État partie ait ratifié le Pacte et le Protocole facultatif faisait que l’on pouvait légitimement s’attendre à ce qu’il s’y conforme et applique les constatations adoptées par le Comité dans les affaires. Il y a lieu de noter que l’État partie a réclamé le paiement des dépens par l’auteur; de son côté, l’auteur a demandé que lui soient remboursés les frais encourus pour soulever (pour la première fois) une question revêtant une importance considérable pour le public.

2.4Le 29 juin 2001, la Haute Cour a refusé d’accorder l’autorisation demandée, estimant que l’auteur n’avait pas présenté d’arguments défendables. En l’absence d’une incorporation directe, le Pacte ne pouvait être appliqué dans l’ordre juridique interne que par le biais du paragraphe 3 de l’article 29 de la Constitution irlandaise. Toutefois, la Cour a jugé que, même en admettant, aux fins de la discussion, que le Pacte où ces principes étaient devenus «des principes universellement reconnus du droit international» applicables par les tribunaux, les seuls droits conférés ne se rapportaient qu’aux relations entre États et ne concernaient pas des personnes telles que l’auteur. La Haute Cour n’a pris aucune décision quant aux dépens, en sorte que l’auteur a dû assumer ses propres frais.

2.5Dès que la décision de la Haute Cour a été rendue publique, le 16 juillet 2001, l’auteur a interjeté appel auprès de la Cour suprême. Son recours n’a été examiné que le 13 décembre 2001 bien que des demandes aient été faites pour que la procédure soit accélérée puisque l’auteur était en détention. L’État s’est de nouveau opposé au recours de l’auteur. L’État a réclamé le paiement des frais par l’auteur qui, de son côté, a encore une fois demandé le remboursement de ses frais pour avoir soulevé une question d’intérêt public. Le 1er mars 2002, la Cour suprême composée de cinq juges, y compris le Président de la Cour, a rejeté le recours de l’auteur contre le refus de la Haute Cour de l’autoriser à faire appel, estimant qu’il n’avait pas présenté d’arguments défendables. La Cour a statué qu’il n’était possible de donner effet en droit irlandais ni au Pacte ni aux constatations du Comité. Elle a estimé que les constatations du Comité ne pouvaient avoir la primauté sur les dispositions de la loi sur les atteintes à la sûreté de l’État ou sur une condamnation prononcée par un tribunal établi en application de cette loi. La Cour n’a pris aucune décision au sujet des dépens en sorte que l’auteur a dû prendre en charge ses propres frais.

2.6Le 8 août 2001 (trois mois et 10 jours après avoir reçu les constatations du Comité), le Ministre de la justice, de l’égalité et de la réforme juridique a offert à l’auteur 1 000 livres en reconnaissance des constatations du Comité sans préciser si cette somme constituait une indemnité, une contribution aux frais de justice ou était destinée à d’autres fins. Le Ministre n’a pas non plus indiqué quelle mesure avait été prise pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

2.7Peu de temps après, l’auteur a reçu du secrétariat du Comité une copie de la réponse de l’État partie aux constatations formulées par le Comité dans la communication initiale. L’État partie y informait le Comité de la somme proposée à l’auteur et lui faisait tenir une copie partielle d’un rapport intérimaire établi par une commission que le Gouvernement avait par ailleurs créé aux fins d’examiner les lois sur les atteintes à la sûreté de l’État de 1939 à 1998.

2.8Le 22 août 2001, l’auteur a retourné au Ministre le chèque qui lui avait été envoyé, estimant qu’il était totalement inadéquat et ne constituait en aucune manière une réparation effective. Il a indiqué que la réparation la plus appropriée consisterait à annuler le verdict et à ordonner un nouveau procès devant des tribunaux ordinaires mais que, l’auteur ayant exécuté l’essentiel de sa peine, il devrait être libéré. Sous couvert d’une lettre datée du 24 août 2001, le Ministre a accusé réception de la lettre de l’auteur et a refusé la réparation suggérée. Il n’a été fait état d’aucune autre communication du Ministre. La question du chèque n’a pas été soulevée au cours de la procédure devant les tribunaux.

2.9Sous couvert d’une lettre datée du 5 octobre 2001 (faisant suite à une lettre datée du 22 août 2001), l’auteur a répondu à la lettre contenant la réponse de l’État partie aux constatations du Comité, précisant les raisons pour lesquelles il estimait que la réparation proposée n’était ni adéquate ni utile. Il a fait valoir qu’une violation des droits consacrés par le Pacte devait être traitée de la même manière que des violations des droits fondamentaux garantis par la Constitution. Les tribunaux irlandais avaient veillé par le passé à empêcher des violations de ces droits entraînant des condamnations et avaient, en conséquence, annulé des condamnations et ordonné le paiement de sommes importantes en guise d’indemnisation. L’auteur a également fait parvenir au Comité une opinion dissidente (que l’État partie n’avait pas soumise au Comité) du Président et de deux membres de la Commission chargée d’examiner la législation en cause dans laquelle ces derniers estimaient qu’aucun amendement aux lois en question ne pouvait réparer la violation du Pacte constatée par le Comité dans l’application de ladite législation. En tout état de cause, l’auteur fait savoir qu’aucune décision n’a été annoncée en ce qui concerne les pouvoirs du Procureur général, qui continue de renvoyer des affaires devant le Tribunal pénal spécial sans donner de justification.

2.10.L’auteur note que durant la procédure, l’État partie n’a pris aucune mesure pour lui assurer une quelconque réparation. Il affirme qu’avec le rejet de son appel par la Cour suprême, tous les recours internes ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il a été victime d’une violation du paragraphe 3 a) de l’article 2 en ce sens que l’État partie ne lui a pas fourni de recours utile pour la violation déjà constatée par le Comité − de l’article 26 du Pacte − dont les effets persistent. Il se réfère à une série d’affaires dans lesquelles le Comité avait conclu à l’existence d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 assortie d’une violation d’une disposition de fond du Pacte du fait que le système juridique concerné n’avait pas assuré un recours utile pour ladite violation. Il estime aussi que les déclarations du Comité selon lesquelles l’article 2 ne pouvait être invoqué en l’absence d’une violation touchant une disposition de fond ne s’appliquaient pas à son affaire, dès lors qu’une violation de ce type s’était déjà produite et avait été constatée par le Comité.

3.2L’auteur dénonce en outre une violation du paragraphe 3 b) de l’article 2 du fait qu’on ne lui a pas assuré la possibilité de faire déterminer par les autorités compétentes s’il avait droit à un recours et que l’on n’a pas créé de possibilités de recours juridictionnel dans des affaires telles que la sienne. Il n’existe pas en droit irlandais de mécanisme dont pourrait se prévaloir une personne se trouvant dans la situation de l’auteur. Il n’y a aucune procédure pour faire au Ministre des propositions sur ce qui pourrait constituer un recours utile ou pour contester une décision du Ministre ou en obtenir un examen indépendant. L’indemnité de 1 000 livres qui a été proposée à l’auteur ne couvre même pas les frais concernant la communication et la procédure d’examen judiciaire ultérieure. L’auteur affirme que la possibilité de s’adresser au Ministre pour une réparation à titre gracieux discrétionnaire ne satisfait pas aux dispositions du paragraphe 3 b) de l’article 2, si par «autorité compétente», on entend, entre autres, une autorité agissant conformément à des procédures clairement établies, équitables et impartiales et soumise à ces procédures.

3.3L’auteur note en outre qu’au lieu d’instituer des recours judiciaires, les tribunaux de l’État partie ont jugé que les arguments présentés par l’auteur à l’appui de sa requête pour obtenir réparation face à une violation établie du Pacte n’étaient même pas défendables au regard du droit irlandais. L’auteur note que l’État partie n’a pas changé sa législation pour que les tribunaux puissent donner effet aux constatations du Comité et assurer un recours utile. Au contraire, le Gouvernement s’est opposé aux requêtes présentées par l’auteur aux tribunaux à tous les niveaux et cherche à présent à lui faire payer les dépens. La décision de la Cour suprême selon laquelle le Pacte ne pouvait avoir la primauté sur des condamnations prononcées en application de la loi sur les atteintes à la sûreté de l’État signifie qu’il n’y a pas de recours utile contre la violation en question et ses effets persistants.

3.4.L’auteur affirme également que l’État partie a de nouveau violé ou continue de violer l’article 26 tant pris séparément que considéré en même temps que l’article 2 étant donné que les effets (emprisonnement à la suite d’une condamnation) de la décision irréfléchie et injustifiée de le juger devant le Tribunal pénal spécial persistent. Sa condamnation n’a pas été annulée et il n’a obtenu aucun recours. L’auteur se réfère à l’affaire Pauger c. Autriche (no 2) dans laquelle le Comité a conclu à l’existence d’une violation répétée de l’article 26 découlant essentiellement des mêmes faits que ceux qu’il avait considérés comme constituant une discrimination dans la première affaire.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, établir si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il est victime d’une violation des articles 2 et 26 du Pacte en raison de la non‑fourniture par l’État partie d’un recours utile, le Comité note que cette allégation n’est fondée sur aucun élément factuel nouveau concernant les droits de l’auteur en vertu du Pacte, autre que la demande effectuée par celui‑ci et restée jusqu’à présent sans effet, visant à obtenir un recours qu’il considérerait utile s’agissant d’une violation du Pacte déjà établie par le Comité. Dans ces conditions, il considère que l’auteur n’est pas fondé à faire d’autres allégations en vertu du Pacte qui iraient au‑delà de ce que le Comité a déjà décidé dans la communication initiale que lui avait présentée l’auteur. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu des articles 1er et 2 du Protocole facultatif.

4.3Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie continue de faire comparaître des personnes devant le Tribunal pénal spécial en violation de l’article 26 sans donner de justification, le Comité note que cette allégation relève d’une action publique dès lors qu’elle se réfère à d’autres mesures prises par l’État partie vis‑à‑vis de tiers plutôt qu’à l’égard de l’auteur lui‑même, l’auteur n’étant pas personnellement victime des nouvelles violations présumées du Pacte dont il se plaint; cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1er et 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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