NATIONS UNIES

E

Conseil Économique

et Social

Distr.

GÉNÉRALE

E/C.12/1/Add.60

21 mai 2001

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELS

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

BOLIVIE

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le rapport initial de la Bolivie sur l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/1990/5/Add.44) à ses 15e, 16e et 17e séances (E/C.12/2001/SR.15 à 17), les 2 et 3 mai 2001, et a adopté, à sa 28e séance (E/C.12/2001/SR.28), le 10 mai 2001, les observations finales ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec intérêt le rapport initial de la Bolivie, les réponses écrites données à la liste des points à traiter la concernant (E/C.12/Q/BOL/1) et les informations complémentaires fournies au cours du dialogue. Le Comité regrette néanmoins le retard de 17 ans enregistré dans la présentation de ce rapport initial. Il regrette également le retard pris dans la communication des réponses écrites à ses questions.

3.Le Comité a examiné les documents écrits communiqués par la Bolivie, qui contiennent principalement des renseignements juridiques. Même si ces renseignements sont importants, le Comité regrette l’absence des informations précises sur l’application concrète du cadre juridique, dont il a besoin pour évaluer la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels en Bolivie.

4.Le Comité regrette que nombre de questions formulées par les membres du Comité soient restées sans réponses ou qu’il n’y ait été répondu que par des déclarations de caractère général.

B. Aspects positifs

5.Le Comité accueille avec intérêt la création du Ministère de la justice et des droits de l’homme (1994) et des bureaux des droits de l’homme mis en place par ce ministère dans les régions sensibles du pays. De même, il prend note avec satisfaction de l’institution, en 1997, du Défenseur du peuple (Defensor del Pueblo).

6.Le Comité note avec intérêt que l’État partie a élaboré un projet global et multidisciplinaire de «Promotion et défense des droits de l’homme» avec l’aide du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme et du PNUD.

7.Le Comité prend note avec satisfaction de l’article premier de la Constitution qui stipule que la Bolivie est une démocratie multiculturelle et multiethnique. À cet égard, il prend note avec intérêt de la promulgation future, le 31 mai 2001, du nouveau Code de procédure pénale, en vertu duquel trois des principales langues autochtones – le quechua, l’aymara et le tupiguarani – peuvent être employées pour les procédures judiciaires et administratives.

8.Le Comité note avec satisfaction la promulgation d’un certain nombre de lois et la mise en place de plusieurs programmes et politiques visant à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la création en 1993 d’un sous‑secrétariat des affaires relatives à l’égalité des sexes relevant du Secrétariat national pour les affaires ethniques et intergénérationnelles du Ministère du développement.

C. Facteurs et difficultés entravant l’application du pacte

9.Le Comité prend note de la situation économique difficile persistante de l’État partie qui est due en partie au caractère peu diversifié de sa structure économique, aux programmes d’ajustement structurel appliqués par la Bolivie depuis 1985 et à sa dette extérieure considérable.

10.Le Comité est conscient du fait que les efforts tendant à remplacer la production de la cocaïne dans certaines zones rurales par d’autres cultures ont entraîné l’appauvrissement des petits agriculteurs concernés.

D. Principaux sujets de préoccupation

11.Le Comité regrette que des lois tendant à incorporer le Pacte dans le système juridique interne de la Bolivie n’aient pas encore été adoptées.

12.Le Comité est profondément préoccupé par les allégations de corruption formulées à l’encontre de certains juges de la Cour suprême.

13.Le Comité est profondément préoccupé par l’ampleur de la pauvreté en Bolivie. D’après les chiffres du PNUD, 88,8 % des ménages boliviens ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté, et 90 % de ces ménages vivent dans les zones rurales. Cette situation se reflète dans des indicateurs tels que la mortalité infantile, l’espérance de vie, le taux d’alphabétisation et l’accès à l’assainissement, à l’eau potable et aux services de soins de santé. À cet égard, le Comité déplore la distribution extrêmement inégale des richesses en Bolivie.

14.Le Comité est particulièrement préoccupé par la marginalisation des communautés autochtones de la Bolivie et la discrimination dont elles sont victimes. Ces communautés, qui constituent la majorité de la population rurale du pays, souffrent d’un accès insuffisant à l’éducation de base, au logement et aux services de santé. En outre, le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie ne reconnaisse pas les droits économiques, sociaux et culturels des populations autochtones en tant que groupe distinct.

15.En dépit du nombre impressionnant d’instruments juridiques et de politiques qui ont été adoptés par l’État partie en vue d’assurer l’égalité entre les sexes, le Comité juge préoccupante l’inégalité de facto entre les hommes et les femmes en Bolivie, qui est aggravée par la persistance de préjugés traditionnels et de conditions sociales telles que la discrimination à l’encontre des fillettes dans les zones rurales dans le domaine de l’éducation. Cette discrimination se traduit notamment dans la faible représentation des femmes dans la fonction publique, les taux élevés d’analphabétisme chez les femmes, une inégalité de salaire à travail de valeur égale et la forte proportion de femmes travaillant dans de mauvaises conditions dans le secteur informel ou en tant que travailleuses domestiques.

16.Le Comité déplore la discrimination de jure à l’encontre des employés domestiques de sexe féminin qu’établit le chapitre II du Code général du travail en ce qui concerne les périodes de repos journalier et hebdomadaire, les congés payés annuels, les licenciements, les prestations sociales et les salaires. En outre, le Comité est préoccupé de constater que les travailleurs domestiques sont l’objet de discriminations fondées sur l’origine ethnique, la classe, le sexe et d’autres considérations.

17.Le Comité est préoccupé de constater que la méthode employée pour fixer le salaire minimum est arbitraire et que le salaire minimum en vigueur ne permet pas aux travailleurs et à leurs familles de vivre dans la dignité.

18.Le Comité considère que la longueur excessive de la procédure prévue pour qu’une grève soit déclarée légale constitue une restriction au droit énoncé au paragraphe 1 d de l’article 8 du Pacte. Il craint également que les restrictions prévues dans le Code général du travail concernant les droits syndicaux ne portent atteinte aux droits énoncés au paragraphe 1 a de l’article 8 du Pacte.

19.Le Comité déplore la pratique du travail des enfants et l’exploitation d’enfants dans l’emploi domestique, en particulier l’existence de la pratique des criaditos autochtones, qui échappe au contrôle de l’État partie.

20.Le Comité est préoccupé de constater que la réforme foncière n’est pas l’une des principales priorités du Gouvernement et que ce dernier ne fournit pas aux travailleurs agricoles de conseils juridiques quant à l’établissement de titres de propriété concernant leurs terres.

21.Le Comité juge préoccupant l’important déficit de logements, la fréquence des expulsions forcées de paysans et de populations autochtones au profit de concessions d’exploitation minière ou forestière et l’absence de mesures efficaces de construction de logements sociaux pour les groupes à faible revenu, vulnérables et marginalisés.

22.Le Comité est profondément préoccupé par la situation des enfants victimes de mauvais traitements physiques et psychologiques, et par l’ampleur de la malnutrition infantile en Bolivie.

23.Le Comité juge préoccupante la situation actuelle des droits des femmes dans le domaine de la santé génésique, en particulier le taux élevé de la mortalité maternelle – le plus fort de l’Amérique latine – qui est imputé aux avortements illégaux et à l’absence d’assistance médicale pendant l’accouchement.

24.Le Comité est préoccupé par les possibilités limitées qui sont offertes aux populations autochtones de s’instruire dans leur langue maternelle et d’utiliser leur langue maternelle pour traiter avec les autorités.

25.Le Comité est préoccupé par la lenteur des progrès de l’alphabétisation en Bolivie et par les taux d’analphabétisme, qui demeurent élevés. Selon l’UNESCO, le taux d’analphabétisme des adultes est de 16,3 %. La situation des enfants est elle aussi alarmante: 70 % des enfants de moins de 9 ans ne sont pas scolarisés.

E. Suggestions et recommandations

26.Le Comité demande instamment à l’État partie de veiller à ce que le Pacte soit pris en compte dans la formulation et la mise en œuvre de toutes les politiques concernant les droits économiques, sociaux et culturels.

27.Le Comité encourage l’État partie à ratifier le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme (Protocole de San Salvador), qu’il a signé en 1988.

28.Le Comité engage l’État partie à veiller à ce que les droits économiques, sociaux et culturels consacrés dans le Pacte soient applicables directement dans son ordre juridique interne.

29.Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son deuxième rapport périodique des renseignements détaillés sur l’effet de la décentralisation administrative sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels par les citoyens boliviens.

30.Le Comité demande instamment à l’État partie de prendre des mesures pour remédier à la marginalisation des populations autochtones dans tous les secteurs de la société et à la discrimination dont elles sont l’objet. Le Comité prie l’État partie de faire figurer dans son deuxième rapport périodique, des renseignements détaillés sur les efforts qu’il fait en vue d’améliorer l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels par les populations rurales, en particulier les populations autochtones.

31.Le Comité demande instamment à l’État partie de prendre des mesures efficaces pour combattre la discrimination à l’égard des femmes dans la vie publique, économique et sociale.

32.Le Comité recommande à l’État partie d’adopter et de mettre en œuvre des programmes visant à accroître les possibilités de formation technique et professionnelle et d’emploi et à réduire le chômage.

33.Le Comité invite l’État partie à assurer aux travailleurs domestiques des conditions de travail justes et favorables, notamment en matière de repos journalier et hebdomadaire, de congés payés annuels, de conditions de licenciement, de prestations sociales et de rémunération.

34.Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de ratifier les Conventions de l’OIT n° 2 (sur le chômage) et n° 29 (sur le travail forcé).

35.Le Comité demande instamment à l’État partie de veiller à ce que le salaire minimum soit suffisant pour assurer un niveau de vie adéquat aux travailleurs et à leurs familles.

36.Le Comité prie l’État partie de veiller à ce que le délai excessif prévu pour la négociation collective ne constitue pas un obstacle au droit de grève.

37.Le Comité invite instamment l’État partie à continuer de combattre la violence à l’encontre des femmes en lançant une campagne de lutte contre les pratiques et préjugés négatifs traditionnels et leurs effets et conséquences. À cet égard, il invite également l’État partie à allouer des ressources financières et humaines suffisantes à la mise en œuvre du plan national de prévention, de répression et d’élimination de la violence à l’encontre des femmes. Le Comité demande également à l’État partie de fournir, dans son deuxième rapport périodique, des informations détaillées et des statistiques à jour sur le phénomène de la violence à l’encontre des femmes en Bolivie et sur les résultats des mesures prises en vue de s’attaquer à ce grave problème.

38.Le Comité invite en outre instamment l’État partie à ratifier la Convention n° 182 de l’OIT (sur les pires formes de travail des enfants) et à prendre des mesures efficaces en vue d’éradiquer le phénomène des criaditos.

39.Le Comité recommande à la Bolivie de tenir compte explicitement du Pacte dans les politiques, programmes et projets découlant du document de stratégie pour la réduction de la pauvreté qui fait partie de l’Initiative améliorée en faveur des pays pauvres très endettés. Il renvoie à cet égard l’État partie à la déclaration sur la pauvreté adoptée par le Comité le 4 mai 2001.

40.Le Comité demande instamment à l’État partie de considérer la réforme foncière comme une de ses priorités, de prévoir les ressources économiques et humaines nécessaires à sa mise en œuvre et d’engager sans attendre les procédures d’établissement de titres fonciers.

41.Le Comité demande à l’État partie de prendre des dispositions pour remédier aux problèmes posés par l’important déficit de logements, la fréquence des expulsions forcées et le manque de logements sociaux pour les groupes à faible revenu, vulnérables et marginalisés. Le Comité prie l’État partie de fournir dans son deuxième rapport périodique, conformément à l’Observation générale n° 7 du Comité, des informations détaillées sur le nombre et la nature des expulsions forcées qui ont eu lieu en Bolivie.

42.Le Comité demande instamment à l’État partie de prendre des dispositions pour remédier aux problèmes et insuffisances qui affectent les enfants et nuisent à leur bien‑être, à commencer par les diverses formes d’exploitation des enfants telles que le trafic d’enfants, l’exploitation sexuelle des enfants et les mauvais traitements qui leur sont infligés au sein de la famille. Le Comité demande instamment à l’État partie de dégager les ressources financières nécessaires pour l’éducation des enfants et l’éradication de la malnutrition infantile.

43.Le Comité demande à l’État partie de prendre des mesures pour réduire le taux de mortalité féminine, et notamment pour réduire le nombre des décès causés par les avortements illégaux et les accouchements non assistés. Il recommande en particulier à l’État partie d’intensifier la mise en œuvre du Programme national pour la santé sexuelle et génésique, d’organiser des campagnes d’information sur la santé sexuelle et génésique des femmes et d’inclure ces questions dans les programmes scolaires.

44.Le Comité recommande à l’État partie de donner la priorité, dans son budget, à l’éducation, de mettre en place des programmes d’alphabétisation des adultes, en particulier dans les zones rurales, et de s’efforcer d’accroître le taux de fréquentation scolaire des enfants de moins de 9 ans. À cet égard, il engage vivement l’État partie à mettre en œuvre un plan national global d’éducation pour tous, comme prévu au paragraphe 16 du Cadre d’action de Dakar, en tenant compte des Observations générales n° 11 et 13 du Comité.

45.Le Comité encourage l’État partie à mettre en application le Code de procédure pénale en vertu duquel trois des principales langues autochtones – le quechua, l’aymara et le tupiguarani – peuvent être employées pour les procédures judiciaires et administratives.

46.Le Comité recommande à l’État partie d’avoir recours plus activement aux services d’assistance et de coopération techniques du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et des institutions spécialisées et programmes des Nations Unies pertinents, en particulier pour la préparation de son deuxième rapport périodique au Comité.

47.Le Comité demande à l’État partie de diffuser largement ses observations finales dans la société bolivienne à tous les niveaux et d’informer le Comité de toutes les mesures qu’il aura prises en vue de leur donner suite. Il encourage en outre l’État partie à consulter les organisations non gouvernementales et d’autres membres de la société civile lors de l’élaboration de son deuxième rapport périodique.

48.Enfin, le Comité demande à l’État partie de lui soumettre son deuxième rapport périodique au plus tard le 30 juin 2005 et de faire figurer dans ledit rapport des informations détaillées sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations contenues dans les présentes observations finales.

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