Nations Unies

E/C.12/65/D/9/2015

Conseil économique et social

Distr. générale

25 mars 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant la communication no 9/2015 *

Communication présentée par :

Irma Elisabeth Makinen Pankka et Teófilo Fernández Pérez (représentés par Antonia Barba García)

Au nom de :

Irma Elisabeth Makinen Pankka et Teófilo Fernández Pérez

État partie :

Espagne

Date de la communication :

15 septembre 2015 (date de la lettre initiale)

Date des constatations :

1er mars 2019

Objet :

Saisie d’un logement

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés

Questions de fond :

Droit à un logement suffisant

Article(s) du Pacte :

11

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3 (par. 1 et par. 2 a), b) et e))

1.1Les auteurs de la communication, présentée le 15 septembre 2015, sont Irma Elisabeth Makinen Pankka et Teófilo Fernández Pérez, de nationalité espagnole et nés respectivement le 7 août 1945 et le 16 mars 1940. Ils affirment que l’Espagne a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 1er décembre 2015, le Comité a enregistré la communication et demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires de protection afin d’éviter l’expulsion des auteurs pendant qu’il examine l’affaire. Le 19 juillet 2016, il a décidé de mettre fin à la demande relative aux mesures provisoires de protection.

1.3Dans la présente décision, le Comité fait d’abord la synthèse des renseignements et des arguments présentés par les parties, sans rendre compte de ses vues, puis examine la question de la recevabilité.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs vivent dans un appartement à Málaga depuis 1996. Le 29 janvier 2007, M. Fernández Pérez a signé avec une entreprise privée un contrat de vente pour un appartement dans un immeuble en construction à Málaga. Le prix d’achat était de 343 470 euros et l’accord s’est fondé sur les caractéristiques figurant dans la brochure qui annonçait la construction du bâtiment. L’auteur a versé un acompte de 87 694 euros, dans l’attente de l’achèvement de la construction de l’immeuble. Les auteurs affirment que M. Fernández Pérez a acheté ce bien immobilier pour sa fille et que Mme Makinen Pankka n’a pas pris part à la transaction et n’en avait pas connaissance.

2.2Au cours de la construction, l’auteur s’est rendu compte que des changements importants avaient été apportés à la façade du bâtiment et que son aspect final serait très différent de celui présenté dans la brochure. N’étant pas d’accord avec ces changements, il s’est adressé à l’entreprise le 20 juin 2008, par l’intermédiaire de son agent immobilier, pour demander l’annulation du contrat et le remboursement des sommes versées jusqu’alors. Les auteurs affirment que l’entreprise n’a pas répondu à leur requête et qu’un an plus tard, elle leur a demandé de signer l’acte de vente.

2.3Le 26 avril 2010, l’entreprise a déposé une requête contre l’auteur devant le tribunal de première instance no 18 de Málaga dans laquelle elle demandait l’exécution du contrat signé le 29 janvier 2007 et le paiement du montant total de la vente majoré d’intérêts moratoires annuels de 10 %. Dans le cadre de cette procédure, M. Fernández Pérez a lui aussi engagé une action reconventionnelle contre l’entreprise pour inexécution du contrat initial.

2.4Le 22 décembre 2010, le tribunal no 18 a rejeté la demande de M. Fernández Pérez et lui a enjoint de respecter le contrat signé le 29 janvier 2007. Il a déclaré que, si la façade avait subi quelques changements, ceux-ci avaient été apportés pour des raisons techniques liées à la sécurité, à l’entretien du bâtiment et à l’efficacité énergétique. Ils devaient être considérés comme des améliorations du bien immobilier et n’avaient aucune incidence ni sur l’appartement acheté ni sur son prix. Le tribunal a accordé à l’auteur un délai de deux mois pour procéder au versement de 255 776 euros majorés de 10 % d’intérêts moratoires.

2.5L’auteur a fait appel de cette décision devant l’Audiencia Provincial de Málaga. Le 15 février 2013, l’Audiencia Provincial a rejeté l’appel, affirmant que les principales allégations de l’auteur se fondaient sur des objections d’ordre esthétique plutôt que sur des motifs concrets et qu’elles n’étaient pas suffisantes pour annuler le contrat.

2.6Le 17 juin 2013, l’auteur a présenté un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Il a invoqué une violation du droit à la protection juridictionnelle effective consacré au paragraphe 1 de l’article 24 de la Constitution de l’État partie.

2.7Le 29 octobre 2013, le tribunal no 18 a enjoint l’auteur de s’acquitter de ses obligations contractuelles et de payer 380 088,15 euros (principal) et 114 000 euros (intérêts). Les biens des auteurs ont été saisis à titre préventif, notamment l’appartement familial dans lequel ils vivent depuis 1996.

2.8Le 12 février 2014, l’auteure a déposé un recours devant le tribunal no 18 pour s’opposer à l’ordonnance d’injonction de payer datée du 29 octobre 2013. Elle a affirmé que la dette de l’auteur envers l’entreprise privée devait être déclarée personnelle et relevant uniquement de la responsabilité de celui-ci et qu’elle ne devait pas concerner les acquêts. Le 6 mars2014, le tribunal no 18 a rejeté la demande de l’auteure. Celle-ci a fait appel de cette décision devant l’Audiencia Provincial de Málaga, ce qui a suspendu l’exécution de l’ordonnance du tribunal no 18.

2.9Le 17 mars 2014, le Tribunal constitutionnel, conformément au paragraphe 1 de l’article 241 de la loi organique sur l’organisation du pouvoir judiciaire, a déclaré irrecevable la requête de l’auteur en raison du non-épuisement des recours judiciaires préalables, puisqu’aucun recours en nullité n’avait été présenté avant celui en amparo. Les auteurs affirment que la décision du Tribunal constitutionnel est contraire aux décisions prises par le tribunal lui-même concernant l’épuisement des recours judiciaires, notamment son arrêt du 19 décembre 2013.

2.10Le 26 mars 2014, l’auteur a présenté une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) invoquant une violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit à un procès équitable).

2.11Par la suite, les auteurs et l’entreprise requérante ont présenté des requêtes devant le tribunal no 18. Le 16 février 2015, le tribunal no 18 a ordonné la poursuite de l’exécution de sa décision du 6 mars 2014.

2.12Le 2 avril 2015, la CEDH a déclaré la requête irrecevable car celle-ci ne satisfaisait pas aux critères énoncés dans les articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.

2.13Le 15 septembre 2015, l’Audiencia Provincial de Málaga a rejeté l’appel formé par l’auteure. À la demande du tribunal no 18, le 28 octobre2015, l’entreprise a fourni les documents relatifs au dossier et au prix du bien immobilier et a prié le tribunal de fixer la date de la vente aux enchères. Les auteurs soutiennent qu’il n’existe aucun recours interne leur permettant d’empêcher leur expulsion forcée et la mise aux enchères de leur logement, qui est imminente.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que les droits qu’ils tiennent des articles 2 et 11 du Pacte ont été violés. Même si Mme Makinen Pankka, qui est l’épouse de M. Fernández Pérez, n’a pas participé à l’achat de l’appartement en question et qu’elle n’était pas partie à la procédure principale relative à la validité du contrat, elle a été informée que le logement familial faisait l’objet d’une procédure d’exécution judiciaire et qu’il pouvait être vendu aux enchères. Les auteurs affirment qu’il existe réellement un risque élevé que le logement familial soit vendu aux enchères car la valeur actuelle de l’appartement en litige est bien plus basse qu’à l’époque où l’auteur a signé le contrat. En outre, ce contrat contenait des clauses abusives imposant des intérêts moratoires annuels de 10 %. Les auteurs affirment que, conformément à la législation espagnole, un bien immobilier acquis par un époux fait partie de la communauté de biens des époux et les frais liés à ces biens communs, tels que les dettes résultant d’un achat, doivent être assumés par les deux conjoints et les engagent tous les deux.

3.2En application du paragraphe 3 de l’article 561 du Code de procédure civile, dans le cadre d’une procédure d’exécution, un appel formé contre une ordonnance judiciaire de mise aux enchères ne suspend pas son application. C’est pourquoi les auteurs affirment que la vente aux enchères de leur résidence habituelle est imminente et peut avoir lieu à tout moment. Étant donné que la procédure d’exécution ne prévoit pas de garanties judiciaires suffisantes, elle constitue une violation de l’article 11 du Pacte.

3.3Les auteurs se réfèrent à l’article 2 du Pacte et aux observations générales nos 4 et 7 du Comité et soutiennent que la législation de l’État partie doit prévoir des garanties contre les expulsions forcées. Dans la pratique, les procédures de saisie hypothécaire ne respectent pas le principe de l’égalité des armes dans la mesure où les recours en appel formés contre une ordonnance pouvant aboutir à l’expulsion forcée ne peuvent renvoyer à l’existence de clauses abusives dans les contrats d’hypothèque et ne suspendent pas leur application. Les auteurs font observer que, bien que l’État partie ait modifié sa législation relative aux procédures de saisie hypothécaire en 2013, la législation en vigueur ne prévoit pas de protection effective du droit au logement contre les clauses abusives des contrats d’hypothèque. La quatrième disposition transitoire de la loi no 1/2013 sur les mesures visant à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, la restructuration de la dette et le loyer social prévoyait que, pour les procédures de saisie en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi (à savoir le 15 mai 2013), les parties débitrices auraient un mois pour présenter une requête extraordinaire contre la saisie fondée sur l’existence de nouveaux motifs d’opposition, et que ce délai d’un mois courrait à compter du jour suivant l’entrée en vigueur de la loi.

3.4En l’espèce, à la suite du recours formé par l’auteure, le tribunal no 18 avait initialement suspendu l’exécution mais, le 16 février 2015, à la suite de la requête de l’auteur, il a décidé d’annuler la suspension.

3.5L’auteure a été privée de son droit à une procédure régulière puisqu’elle n’était pas partie au contrat de vente, n’a pas été convoquée pour signer l’acte de vente et n’a pas pris part à la procédure déclarative qui a suivi mais que son logement a été saisi et qu’elle pourrait en être expulsée. Les auteurs estiment qu’en l’espèce, ils sont obligés de payer au promoteur immobilier un prix exorbitant, majoré d’intérêts et d’autres coûts, ce qui entraînerait la perte de leurs deux logements.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 21 janvier2016, l’État partie a soumis ses observations concernant la recevabilité de la communication.

4.2En premier lieu, l’État partie affirme que la violation de l’article 11 ne peut être invoquée que pour l’auteure, mais pas pour M. Fernández Pérez, dans la mesure où elle seule était partie au recours formé contre l’ordonnance du tribunal no 18 concernant la mise aux enchères du bien immobilier commun du couple, recours qui a été rejeté le 6 mars 2014. En outre, dans son recours, l’auteure critique le régime matrimonial des acquêts qu’elle a choisi de son plein gré et qui n’est pas obligatoire dans la législation espagnole.

4.3L’État partie considère que la présente communication constitue un abus du droit de présenter une communication au sens du paragraphe 2 f) de l’article 3 du Protocole facultatif. Il souligne que les biens immobiliers communs saisis sont deux logements enregistrés sous les numéros 5489 et 3700/B au Registre foncier de Málaga. Toutefois, le document des registres municipaux fourni par les auteurs indique qu’ils habitent à une adresse différente.

4.4L’État partie affirme que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes car leur communication se réfère à deux procédures judiciaires distinctes qui intéressent des parties différentes. La première procédure, qui est déclarative, concerne l’inexécution du contrat par l’auteur et s’est conclue par le jugement prononcé en première instance par lequel l’auteur a été condamné à payer ses dettes. L’auteure n’apparaît ni comme partie lésée ni même comme partie intéressée dans cette procédure, ni dans les recours formés par l’auteur devant le Tribunal constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie soutient que l’auteur n’a épuisé les recours internes que pour cette procédure, recours qui étaient fondés sur la violation alléguée de son droit à une protection juridictionnelle effective. La seconde procédure concerne l’exécution des titres judiciaires. Selon l’État partie, elle est complétement distincte de la première et a été engagée lorsque l’entreprise créancière a déposé sa requête. Cette procédure concerne l’exécution de la décision relative à la saisie de deux des biens immobiliers communs aux auteurs, qui sont mariés sous le régime des acquêts. Dans un volet disjoint de cette procédure, l’auteure s’oppose à la saisie des biens communs et remet en question la nature de la dette. C’est dans le cadre de ce volet qu’a été prononcée l’ordonnance qui constitue selon les auteurs une violation de l’article 11. L’État partie considère que cette voie n’a pas été épuisée et qu’en tout état de cause, seule l’auteure était partie à la procédure contestée. Par conséquent, il affirme que la violation de l’article 11 n’a été invoquée que dans le cadre de cette procédure, qu’elle ne concerne que l’auteure et que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées.

4.5L’État partie souligne que le logement habituel des auteurs n’a jamais été saisi, que les recours internes n’ont porté que sur les violations présumées du droit à la protection juridictionnelle effective et ne concernaient que l’auteur, et que MmeMakinen Pankka n’a pas épuisé tous les recours internes.

4.6L’État partie estime que la communication n’est pas conforme aux dispositions du Pacte, qu’elle est manifestement infondée et qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication, étant donné qu’elle trouve son origine dans un investissement immobilier et non dans l’achat d’une résidence habituelle et que le logement des auteurs n’a fait l’objet d’aucune saisie.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une lettre datée du 9 mars 2016, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur la recevabilité de la communication. Concernant l’observation de l’État partie selon laquelle la communication est manifestement infondée, les auteurs soutiennent que Mme Makinen Pankka invoque une application judiciaire erronée du régime des acquêts. Ils citent les articles 1362 et 1377 du Code civil espagnol qui disposent que le consentement des deux époux est nécessaire pour les cessions à titre onéreux de biens acquis pendant le mariage. Ils affirment qu’en application du Code civil, un bien immobilier acquis par l’auteur pour sa fille, sans le consentement de son épouse, ne peut pas entraîner la saisie des acquêts. Par conséquent, l’auteure ne doit pas être soumise à l’exécution d’une décision qui résulte d’une procédure déclarative à laquelle elle n’était pas partie et qui concernait une vente pour laquelle elle n’avait pas donné son consentement.

5.2Les auteurs remettent en question l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils auraient abusé du droit de présenter une communication au motif que leur résidence principale ne fait pas l’objet d’une saisie. Ils font remarquer que les propriétés nos 5489 et 3700/B, que l’État partie a recensées comme sujettes à saisie, ont été estimées à 116 276 et 111 720 euros. Leur valeur cumulée ne couvre donc même pas la moitié du montant indiqué dans l’ordonnance d’injonction de payer qui était de 380 088 euros plus 114 000 euros d’intérêts. Par conséquent, si la procédure d’exécution judiciaire se poursuit, les auteurs seront expulsés de leur résidence principale (même si elle n’est pas indiquée dans la saisie), cette procédure portant sur la totalité des biens de l’auteur, d’autant plus que les auteurs doivent respecter le prix fixé au moment de la vente, c’est-à-dire avant que la bulle immobilière n’explose, majoré de 10 % d’intérêts moratoire, et alors même que leurs biens sont évalués en temps de crise du secteur immobilier.

5.3Les auteurs avancent qu’il n’y a qu’une seule procédure judiciaire dans leur cas : la procédure déclarative et son exécution ultérieure. Ils reconnaissent que les parties intéressées par la procédure et par son exécution sont différentes, et c’est là le motif de la communication : les conséquences pour l’auteure du jugement déclaratif rendu concernant la non-exécution du contrat par son mari. Les auteurs rappellent qu’ils ont épuisé les recours internes concernant le jugement déclaratif. S’agissant de l’épuisement des recours internes pour la violation de l’article 11, ils réaffirment que, dans la mesure où l’exécution des procédures d’expulsion en Espagne n’est pas suspendue en cas d’appel, celui-ci ne constitue pas un recours utile. Ils ajoutent que la violation de l’article 11 concerne également l’exécution du jugement déclaratif rendu contre l’auteur, et pas seulement l’opposition de l’auteure. Par conséquent, le grief tiré de l’article 11 s’applique aux deux auteurs.

5.4S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication n’est pas conforme aux dispositions du Pacte dans la mesure où l’auteur est un investisseur et non un consommateur, les auteurs soulignent que M. Fernández Pérez a acheté l’appartement pour sa fille. Il s’agissait par conséquent d’un achat individuel réalisé au nom de l’auteur à des fins résidentielles et non d’un investissement destiné à enrichir le patrimoine commun du couple.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale datée du 31 mai 2016, l’État partie a présenté ses observations concernant le fond de la communication et avancé qu’il n’y avait pas eu violation du Pacte.

6.2L’État partie fait observer que l’auteur a réalisé un investissement immobilier grâce à des fonds appartenant au couple et que la dette est considérée, de fait, comme commune aux deux époux.

6.3L’État partie considère qu’il pourrait y avoir violation des dispositions du Pacte si, face à une expulsion hypothétique, les auteurs ne disposaient ni des ressources ni de la protection juridictionnelle requise par l’article 11 du Pacte et les observations générales nos 4 et 7. L’article 541 du Code de procédure civile, sous la rubrique « saisie des acquêts », prévoit que le conjoint non débiteur doit être informé lorsque les acquêts sont saisis pour rembourser une dette contractée par l’autre époux. Il existe la possibilité de présenter un recours en annulation contre ce type de décision. L’époux du débiteur judiciaire peut s’opposer à la décision au motif que la dette n’est pas commune ainsi que pour les mêmes motifs de fond et de forme que le débiteur. Les auteurs font référence à l’arrêt C-169/14 de la Cour de justice de l’Union européenne, mais celui-ci renvoie au fait que le système espagnol de saisie hypothécaire ne permettait pas au débiteur de s’opposer aux questions de fond, c’est-à-dire au caractère abusif des clauses de l’acte authentique d’affectation en hypothèque. Cet arrêt ne s’applique pas au cas de l’espèce étant donné qu’il s’agit ici d’une saisie des acquêts pour défaut de paiement d’une dette concernant laquelle l’auteure pouvait soulever des questions de fond. L’État partie conclut qu’en l’espèce, il existe des mécanismes de protection juridictionnelle contre l’expulsion conformes aux dispositions du Pacte.

6.4L’État partie rappelle qu’à la date de la note verbale, deux biens étaient saisis et qu’aucun ne correspondait au domicile habituel des auteurs. Il considère donc qu’il n’y a pas violation du droit des auteurs à un logement suffisant.

Commentaires des auteurs sur le fond

7.1Le 24 avril 2017, les auteurs ont présenté leurs commentaires concernant le fond de la communication. Ils avancent que le risque que le domicile familial soit saisi est réel étant donné que la procédure judiciaire suit son cours et que, comme il s’agit d’une exécution judiciaire, tous leurs biens peuvent être saisis. En outre, ils affirment que même en perdant leurs deux logements, leur dette ne sera pas soldée dans la mesure où l’achat a été conclu à un prix bien supérieur à celui du marché actuellement. Le prix contractuel reste considéré comme la valeur de la dette alors que leurs biens sont évalués par rapport au prix du marché.

7.2En outre, l’auteure n’était partie ni au contrat ni à la procédure déclarative, ce qui la mettait dans une position de faiblesse. Les auteurs soulignent le contraste entre leur absence de protection contre la dette et la situation de l’entreprise créancière, actuellement en faillite, dont les membres bénéficient d’un système de protection adapté et ne sont pas touchés par les dettes de l’entreprise.

7.3Les auteurs réaffirment que les faits constituent une violation du droit à un logement suffisant qu’ils tiennent de l’article 11 du Pacte.

B.Délibérations du Comité sur la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable en vertu des dispositions du paragraphe 1 de l’article 3 du Protocole facultatif étant donné qu’il existe deux procédures distinctes, la procédure déclarative et l’exécution des titres judiciaires, et que seul l’auteur a épuisé les recours internes en présentant au Tribunal constitutionnel une requête invoquant la violation de son droit à la protection juridictionnelle effective, tandis que l’auteure n’a pas formé de recours contre la décision de l’Audiencia Provincial concernant l’exécution des titres judiciaires.

8.3Le Comité note également que les auteurs avancent qu’ayant épuisé les recours internes relatifs au jugement déclaratif, il n’y a qu’une seule procédure judiciaire en l’espèce et que, dans la mesure où l’exécution des procédures d’expulsion en Espagne n’est pas suspendue en cas d’appel, celui-ci ne constitue pas un recours utile. Le Comité note également que l’auteur a fait appel de la décision rendue par le tribunal no 18 le 22 décembre 2010 jusque devant le Tribunal constitutionnel dans une requête pour violation de son droit à la protection juridictionnelle effective, que l’auteure a fait appel de la même décision, dont l’exécution a été suspendue puis reprise le 6 mars 2014, épuisant ainsi tous les recours utiles pour empêcher son exécution. Par conséquent, le Comité considère que les auteurs ont épuisé tous les recours disponibles de la juridiction interne et que leur communication est recevable au titre du paragraphe 1 de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles les droits qu’ils tiennent des articles 2 et 11 du Pacte ont été violés étant donné que l’auteure n’a pas pu prendre part à la procédure principale relative à la validité du contrat et qu’il existe un risque élevé que le logement familial soit vendu aux enchères. À cet égard, il prend note des observations de l’État partie selon lesquelles la communication est manifestement infondée étant donné qu’elle trouve son origine dans un investissement immobilier et non dans l’achat d’une résidence habituelle et que le logement des auteurs n’a fait l’objet d’aucune saisie. Il prend également note du fait que le tribunal no 18 de Málaga a procédé à la saisie préventive de deux des biens immobiliers des auteurs mais que cette saisie ne concernait pas leur logement principal et que les auteurs n’ont pas prouvé qu’il existait un risque imminent que ce logement soit saisi, qu’ils soient expulsés de force et que, par conséquent, leur droit au logement puisse être compromis. Les auteurs n’ont pas réellement démontré que si la procédure d’exécution judiciaire engagée contre eux suivait son cours, ils seraient inévitablement expulsés de leur résidence principale, qui n’avait même pas été saisie. Les faits décrits dans la communication devraient au moins permettre au Comité de déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte. Compte tenu du fait que la procédure judiciaire à laquelle se réfèrent les auteurs n’a pas eu de répercussions sur leur logement et qu’ils n’ont pas prouvé qu’ils avaient été privés de leur droit à un logement suffisant ou que ce droit était réellement menacé, le Comité considère que la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est irrecevable au regard du paragraphe 2 e) de l’article 3 du Protocole facultatif.

C.Conclusion

9.Compte tenu de tous les renseignements fournis, le Comité, agissant en vertu du Protocole facultatif, considère que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 e) de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.En conséquence, le Comité décide que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif.