Nations Unies

E/C.12/GC/25

Conseil économique et social

Distr. générale

30 avril 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Observation générale no 25 (2020) sur la science et les droits économiques, sociaux et culturels (par. 1 b), 2, 3 et 4 de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) *

I.Introduction et principes de base

1.Les progrès intenses et rapides de la science et de la technologie ont eu des conséquences positives nombreuses pour l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Parallèlement, les risques − et la répartition inégale des avantages et des risques − alimentent un débat riche et croissant à propos des liens entre la science et les droits économiques, sociaux et culturels. Plusieurs documents importants ont été publiés sur le sujet, parmi lesquels la Déclaration de Venise sur le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications, adoptée en 2009, la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, adoptée par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 2005, la Recommandation concernant la science et les chercheurs scientifiques, adoptée par l’UNESCO en 2017, le rapport de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels sur le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications (A/HRC/20/26), et l’observation générale no 17 (2005) du Comité sur le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. Ainsi, l’UNESCO, diverses déclarations faites lors de conférences et de sommets internationaux, la Rapporteuse spéciale dans le domaine des culturels, et des organisations et des publications scientifiques de premier plan, ont reconnu le « droit humain à la science », qui recouvre l’ensemble des droits, garanties et obligations liés à la science.

2.Malgré cette évolution, la science est l’un des domaines couverts par le Pacte auquel les États parties consacrent le moins d’attention dans leurs rapports et dans le cadre du dialogue avec le Comité. C’est ce qui a conduit le Comité, à l’issue d’un large processus consultatif, à élaborer la présente observation générale sur les liens entre la science et les droits économiques, sociaux et culturels.

3.Le Comité s’intéresse principalement au droit reconnu à chacun par le Pacte de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications (art. 15, par. 1) b)), car c’est le droit le plus souvent invoqué en ce qui concerne la science. Toutefois, l’objectif de la présente observation générale ne se limite pas au droit en question, mais est aussi de définir plus largement les liens entre la science et les droits économiques, sociaux et culturels. Le Comité examine également les autres éléments de l’article 15 concernant la science, en particulier les obligations qui incombent aux États parties de prendre des mesures pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science (art. 15, par. 2), de respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique (art. 15, par. 3) et de promouvoir les contacts et la coopération internationaux dans le domaine scientifique (art. 15, par. 4). Le Comité souligne aussi l’importance de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme pour cette analyse.

II.Contenu normatif

Le progrès scientifique et ses applications

4.Selon la définition utilisée par l’UNESCO dans sa Recommandation concernant la science et les chercheurs scientifiques,

le mot « science » désigne l’entreprise par laquelle l’être humain, agissant individuellement ou en groupes, petits ou grands, fait un effort organisé pour découvrir et maîtriser la chaîne des causalités, les relations ou les interactions, au moyen de l’étude objective de phénomènes observés et de sa validation par le partage des résultats et des données et de l’évaluation par les pairs ; assemble les connaissances ainsi acquises, en les coordonnant, grâce à un effort systématique de réflexion et de conceptualisation ; et se donne ainsi la possibilité de tirer parti de la compréhension des processus et phénomènes qui se produisent dans la nature et dans la société (par. 1 a) i)).

L’UNESCO ajoute que « le terme “les sciences” désigne un ensemble de connaissances, de faits et d’hypothèses pouvant faire l’objet de constructions théoriques vérifiables à court ou à long terme ; il englobe dans cette mesure les sciences ayant pour objet les faits et phénomènes sociaux » (par. 1 a) ii)).

5.Ainsi, la science, qui englobe les sciences naturelles et sociales, renvoie à la fois à un processus qui suit une certaine méthodologie (la pratique de la science) et aux résultats de ce processus (le savoir et les applications). Si la protection et la promotion, qui sont un droit culturel, peuvent être revendiquées pour d’autres formes de connaissance, doivent être considérées comme scientifiques seulement les connaissances qui reposent sur l’investigation critique et sont susceptibles de réfutation et de vérification. Les connaissances qui reposent seulement sur la tradition, la révélation ou l’autorité, sans possibilité de les confronter à la raison et à l’expérience, ou sont exonérées de toute réfutabilité ou de toute vérification intersubjective, ne peuvent être considérées comme scientifiques.

6.L’expression « progrès scientifique », que l’on retrouve dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte, souligne la capacité de la science de contribuer au bien-être des personnes et de l’humanité. Ainsi, le développement de la science au service de la paix et des droits de l’homme devrait être privilégié par les États par rapport à d’autres utilisations.

7.La notion d’applications renvoie à la façon particulière dont la science est appliquée aux problèmes et aux besoins précis de la population. La science appliquée recouvre aussi la technologie issue du savoir scientifique, qu’il s’agisse des applications médicales, des applications industrielles ou agricoles, ou des technologies de l’information et de la communication.

Bénéficier des avantages du progrès scientifique et de ses applications

8.Le mot « avantages » renvoie en premier lieu aux résultats matériels des applications de la recherche scientifique, à titre d’exemple les vaccins, les engrais, les instruments technologiques, etc. En deuxième lieu, il renvoie aux connaissances et aux informations scientifiques qui proviennent directement de l’activité scientifique, car la science procure des avantages en développant et en diffusant les connaissances. Enfin, il renvoie aussi au rôle de la science dans la formation de citoyens responsables et capables d’esprit critique qui sont en mesure de prendre toute leur part à une société démocratique.

Participer à la vie culturelle

9.On ne saurait considérer que le droit de bénéficier du progrès scientifique établit une distinction rigide entre le scientifique qui produit le savoir scientifique et le reste de la population, auquel ne serait garanti que le droit aux avantages procurés par la recherche menée par les scientifiques. Une telle interprétation restrictive est contraire à une interprétation systématique et téléologique de ce droit, qui tient compte du contexte, de l’objet et du but de cette disposition, conformément à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

10.La culture est une notion qui englobe, sans exclusive, toutes les manifestations de l’existence humaine. La vie culturelle est donc quelque chose de plus vaste que la science, car elle recouvre d’autres aspects de l’existence humaine ; on est fondé cependant à considérer que l’activité scientifique fait partie de la vie culturelle. Ainsi, le droit de chacun de participer à la vie culturelle recouvre le droit de chacun de participer au progrès scientifique et aux décisions concernant son orientation. Cette interprétation est aussi cohérente avec les principes de participation et d’inclusivité qui sous-tendent le Pacte, et avec l’expression « bénéficier du progrès scientifique ». Ces avantages ne se bornent pas aux retombées matérielles ou aux produits du progrès scientifique, mais comportent le développement de l’esprit critique et des facultés associés à la pratique de la science. Cette interprétation est corroborée par les travaux préparatoires de l’article 15 du Pacte, qui montrent que l’article avait pour objet de développer l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui reconnaît un droit non seulement de bénéficier des applications de la science mais aussi de participer au progrès scientifique. La Déclaration universelle des droits de l’homme est à prendre en considération pour établir la portée de tous les droits consacrés par le Pacte, non seulement parce que le préambule du Pacte se réfère expressément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais aussi parce que les deux instruments constituent des tentatives internationales pour donner effet juridiquement aux droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’adoption d’instruments contraignants. Ainsi, la pratique de la science ne concerne pas seulement les professionnels de la science mais s’étend aussi à la « science citoyenne » (les citoyens ordinaires qui pratiquent la science) et à la diffusion des connaissances scientifiques. Les États parties devraient non seulement s’abstenir d’empêcher la participation des citoyens aux activités scientifiques, mais devraient faciliter celles-ci activement.

11.Le droit consacré à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 15 ne recouvre pas seulement le droit de bénéficier des applications du progrès scientifique, mais aussi le droit de participer au progrès scientifique. Il s’agit donc, d’une part, du droit de participer au progrès scientifique, et d’autre part, du droit de bénéficier de ce progrès et de ses applications.

Bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont on est l’auteur

12.Le Comité a déjà examiné ce droit en 2005 dans son observation générale no 17, dans laquelle il a souligné la différence entre ce droit fondamental, qui protège les créateurs de découvertes scientifiques, et « la plupart des droits juridiques reconnus dans les régimes de propriété intellectuelle » (par. 1). Il est superflu de répéter cette analyse ici. Néanmoins, les liens précis entre les droits de propriété intellectuelle et le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, sont abordés à la section V.

La liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices

13.Pour permettre l’épanouissement et le développement de la science, la liberté de la recherche doit être solidement protégée. Le Pacte prévoit expressément que les États doivent « respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique » (art. 15, par. 3)). Cette liberté recouvre, au minimum, les dimensions ci-après : protection des chercheurs contre toute influence indue sur leur indépendance de jugement ; possibilité pour les chercheurs de mettre en place des établissements de recherche autonomes et de définir les buts et objectifs de la recherche et les méthodes à adopter ; liberté des chercheurs de contester librement et ouvertement la valeur éthique de certains projets, et droit des chercheurs de se retirer de ces projets si leur conscience le leur impose ; liberté des chercheurs de coopérer avec d’autres chercheurs, dans leur pays comme à l’étranger ; et communication des données et de l’analyse scientifiques aux responsables de l’élaboration des politiques, et au public lorsque c’est possible. Néanmoins, la liberté de la recherche scientifique n’est pas absolue ; certaines restrictions, décrites à la section III ci-après, sont possibles.

Prendre des mesures pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science

14.Les États parties ne devraient pas seulement s’abstenir de toute entrave à la liberté des personnes et des établissements scientifiques de développer la science et d’en diffuser les résultats. Les États doivent prendre des mesures positives pour faire progresser la science (développement) et pour protéger et diffuser le savoir scientifique et ses applications (maintien et diffusion).

III.Éléments constitutifs du droit et limitations

15.Le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, comprend des libertés et des droits : d’une part, le droit de participer au progrès scientifique et de jouir de la liberté indispensable à la recherche scientifique, et d’autre part, le droit de bénéficier, sans discrimination, des avantages du progrès scientifique. Ces droits et libertés entraînent pour les États des obligations négatives et des obligations positives. Le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, est constitué des cinq éléments essentiels et interdépendants ci-après.

A.Éléments constitutifs du droit

16.Le critère de disponibilité se rattache à l’obligation faite aux États parties de prendre des mesures pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science. La disponibilité signifie donc que le progrès scientifique existe effectivement, et que les connaissances scientifiques et leurs applications sont protégées et largement diffusées. Les États parties devraient orienter leurs propres ressources et coordonner les activités tierces pour faire en sorte que la science progresse et que ses applications et ses retombées soient diffusées, et que les groupes vulnérables et marginalisés, en particulier, puissent en disposer. Cela passe notamment par des instruments de diffusion de la science (bibliothèques, musées, réseaux Internet, etc.), une solide infrastructure de recherche dotée de ressources suffisantes, et un financement approprié de l’enseignement scientifique. En particulier, les États devraient promouvoir une science ouverte et la publication en libre accès des travaux de recherche. Les résultats et les données de la recherche financée par l’État devraient être accessibles au public.

17.Le critère d’accessibilité signifie que le progrès scientifique et ses applications devraient être accessibles à toutes les personnes, sans discrimination. Elle comporte trois dimensions : en premier lieu, les États parties devraient veiller à ce que chacun bénéficie d’un accès égal aux applications de la science, particulièrement lorsqu’elles sont déterminantes pour l’exercice d’autres droits économiques, sociaux et culturels. En deuxième lieu, l’information concernant les risques et les avantages de la science et de la technologie devrait être accessible sans discrimination. En troisième lieu, chacun devrait être libre de participer au progrès scientifique, sans discrimination. En conséquence, les États parties devraient supprimer les obstacles discriminatoires qui empêchent des personnes de participer au progrès scientifique, notamment en facilitant l’accès des populations marginalisées à l’enseignement scientifique.

18.Le critère de qualité renvoie aux connaissances scientifiques les plus poussées, les plus récentes, les plus largement acceptées et les plus vérifiables qui existent à un moment donné, d’après les normes généralement admises par la communauté scientifique. Cet élément concerne aussi bien le processus de création scientifique que l’accès aux applications et aux avantages de la science. La qualité s’étend également à la réglementation et à la certification, selon qu’il convient, pour garantir un développement et une application responsables et conformes à l’éthique de la science. Les États devraient s’appuyer sur des connaissances scientifiques largement admises, en dialoguant avec la communauté scientifique, pour réglementer et certifier la diffusion de nouvelles applications scientifiques accessibles au public.

19.L’acceptabilité suppose de faire en sorte que la science soit expliquée et que ses applications soient diffusées de manière à en faciliter l’acceptation dans les différents contextes socioculturels, pour autant que cela n’en compromette pas l’intégrité et la qualité. L’enseignement scientifique et les produits de la science devraient être adaptés aux besoins particuliers des populations qui ont des besoins particuliers, dont les personnes handicapées. L’acceptabilité suppose aussi que des normes éthiques, telles que les normes proposées dans la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, soient observées dans le cadre de la recherche scientifique afin de garantir l’intégrité de celle-ci et le respect de la dignité humaine. Ces normes consistent notamment à prévoir une protection et des garanties acceptables afin de garantir le plus possible d’effets bénéfiques et un risque minimum d’effets nocifs aux patients, aux personnes participant à la recherche et à tout autre personne concernée ; à garantir l’autonomie et le consentement libre et éclairé des participants ; à respecter le droit à la vie privée et la confidentialité ; à protéger en particulier les personnes et les groupes vulnérables afin d’empêcher toute discrimination ; et à tenir dûment compte de la diversité et du pluralisme culturels.

20.Comme on l’a vu précédemment au paragraphe 13, la protection de la liberté de la recherche scientifique fait aussi partie des éléments du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier.

B.Limitations

21.Il peut être nécessaire de soumettre le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, à certaines limitations, car la science et ses applications peuvent, dans certains contextes, avoir une incidence sur les droits économiques, sociaux et culturels. Néanmoins, ces limitations doivent respecter les conditions prévues à l’article 4 du Pacte : d’une part, les limitations doivent être établies par la loi ; d’autre part, elles doivent favoriser « le bien-être général dans une société démocratique » ; enfin, toute restriction doit être compatible avec la nature du droit considéré. D’après l’interprétation du Comité, cela suppose que les limitations doivent respecter les obligations fondamentales minimales que le droit comporte, et être proportionnées au but visé. Cela signifie que s’il existe plusieurs moyens acceptables d’atteindre le but légitime de la limitation, c’est le moyen le moins restrictif pour les droits économiques, sociaux et culturels qui doit être choisi, et que les contraintes imposées à l’exercice du droit ne doivent pas l’emporter sur les avantages de la limitation.

22.Les limitations relatives aux applications de la science et de la technologie peuvent être utilisées pour garantir la sécurité et la qualité des produits utilisés par les personnes. Des études d’impact sur les droits de l’homme peuvent être nécessaires pour protéger les personnes contre les applications comportant des risques. Des limitations relatives au processus de recherche peuvent aussi être nécessaires, particulièrement quand la recherche concerne des êtres humains afin de protéger leur dignité, leur intégrité et leur consentement lorsqu’ils participent à la recherche. Lorsque la recherche est effectuée dans des pays ou parmi des populations qui diffèrent de ceux des chercheurs, l’État d’origine doit garantir les droits et les obligations de toutes les parties concernées. Néanmoins, toute limitation portant sur le contenu de la recherche scientifique oblige les États à une justification stricte, afin de ne pas porter atteinte à la liberté de la recherche.

IV.Obligations

A.Obligations générales

23.Les États parties doivent agir, au maximum de leurs ressources disponibles, en vue d’assurer le plein exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier. Si le plein exercice de ce droit peut être assuré progressivement, des dispositions doivent être prises immédiatement ou dans un délai acceptable pour le réaliser. Ces dispositions doivent être délibérées, concrètes et ciblées, et utiliser tous les moyens appropriés, y compris l’adoption de mesures législatives et budgétaires.

24.Tout laisse supposer que le Pacte n’autorise aucune mesure régressive s’agissant du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, ni d’ailleurs des autres droits qui y sont prévus. Les mesures ci-après, à titre d’exemple, ont un caractère régressif : supprimer des programmes ou des politiques nécessaires au maintien, au développement et à la diffusion de la science ; imposer des obstacles à l’éducation et à l’information scientifiques ; imposer des obstacles à la participation des citoyens aux activités scientifiques, y compris par une désinformation visant à affaiblir la compréhension et le respect de la science et de la recherche scientifique parmi les citoyens ; et adopter dans la loi et les politiques des modifications qui réduisent la portée de la collaboration internationale en matière scientifique. Dans les circonstances exceptionnelles où il peut être inévitable d’adopter des mesures régressives, les États doivent veiller à ce que ces mesures soient nécessaires et proportionnées. Les mesures doivent être maintenues seulement pour autant qu’elles sont nécessaires ; compenser les inégalités, qui peuvent se creuser en période de crise, et ne pas avoir d’effets disproportionnés sur les droits des personnes et des groupes défavorisés et marginalisés ; et garantir les obligations fondamentales minimum (voir E/C.12/2016/1).

25.Les États parties ont l’obligation immédiate de mettre fin à la discrimination à l’égard des individus et des groupes dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Cette obligation est particulièrement importante s’agissant du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, car de profondes inégalités persistent dans l’exercice de ce droit. Les États doivent adopter les mesures nécessaires pour mettre fin aux situations, et lutter contre les comportements qui perpétuent les inégalités et la discrimination afin de permettre à tous les individus et les groupes de bénéficier de ce droit sans discrimination, y compris motivée par la religion, l’origine nationale, le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, la race et l’identité ethnique, le handicap, la pauvreté et toute autre situation.

26.L’obligation de mettre fin à la discrimination est une obligation transversale dont les États doivent tenir compte dans l’accomplissement de toutes les autres obligations. Ainsi, l’obligation qui leur est faite de prendre des mesures pour assurer le développement et la diffusion de la science (art. 15, par. 2)) recouvre celle de tout mettre en œuvre pour surmonter les inégalités persistantes dans le progrès scientifique par des moyens d’enseignement et de communication adaptés à la culture et au sexe, dans le but de favoriser la plus large participation possible au progrès scientifique des populations qui sont habituellement exclues de ce progrès.

27.L’obligation de lutter contre la discrimination fondée sur ces motifs a des conséquences pour la conception et l’application de toutes les politiques relatives au droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier. Ainsi, les États doivent prendre soin de concevoir et d’appliquer des programmes d’éducation scientifique de qualité afin de permettre à tous les mêmes chances d’atteindre le niveau élémentaire de compréhension et de connaissance des sciences et la formation indispensables pour faire une carrière scientifique, et d’accéder sans discrimination à l’emploi dans les diverses branches de la recherche scientifique.

B.Protection spéciale en faveur de certains groupes

28.Sans préjudice de l’obligation qui incombe aux États de mettre fin à toutes les formes de discrimination, une attention particulière devrait être accordée aux groupes qui se heurtent, dans l’exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, à une discrimination systémique, tels les femmes, les personnes handicapées, les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués, les peuples autochtones et les personnes vivant dans la pauvreté. Des mesures spéciales temporaires peuvent être nécessaires pour parvenir à l’égalité de fait et remédier aux manifestations actuelles de schémas préexistants d’exclusion de ces groupes. Pour des raisons de place, la présente observation générale est centrée sur les femmes, les personnes handicapées, les personnes vivant dans la pauvreté et les peuples autochtones.

Femmes

29.Les femmes sont fréquemment sous-représentées dans l’activité scientifique. Cela peut tenir à des situations de discrimination directe dans l’accès à l’éducation ou à l’emploi et à la promotion professionnels. Parfois, la discrimination est plus insidieuse et repose sur des stéréotypes ou des pratiques professionnelles qui dissuadent les femmes de participer à la recherche scientifique. En particulier, l’évolution des femmes dans les carrières scientifiques, tant à l’université que dans le secteur privé, est limitée par les obstacles qui s’accumulent à mesure qu’elles progressent dans la hiérarchie.

30.Les inégalités d’accès à la science entre les hommes et les femmes dénotent une double discrimination. En premier lieu, les femmes ont le droit de participer à la recherche scientifique sur un pied d’égalité avec les hommes ; sont donc en principe discriminatoires des inégalités d’accès à l’éducation scientifique ou aux carrières scientifiques. En deuxième lieu, les femmes étant sous-représentées dans la recherche scientifique, il est très courant que la recherche scientifique et les nouvelles technologies entretiennent des stéréotypes sexistes et ne tiennent pas compte des particularités et des besoins des femmes.

31.Les États doivent donc remédier immédiatement aux obstacles qui empêchent les filles et les femmes d’accéder à une éducation et à des carrières scientifiques de qualité. Les États doivent, en outre, prendre des mesures afin de garantir aux femmes l’égalité de fait en matière d’accès à l’éducation et aux carrières scientifiques, consistant, par exemple, à sensibiliser le public pour mettre fin aux stéréotypes qui excluent les femmes de la science, ou à adopter des politiques pour aider aussi bien les hommes que les femmes à concilier leur vie familiale et leur carrière scientifique. Des mesures temporaires spéciales, notamment des quotas de femmes dans l’enseignement scientifique, peuvent être nécessaires afin d’accélérer l’égalité de fait dans l’exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier. L’existence de jardins d’enfants et d’autres établissements de garde d’enfants joue aussi un rôle décisif dans la promotion de l’égalité.

32.Une stratégie d’égalité des sexes ne constitue pas un luxe pour la recherche scientifique, c’est un outil essentiel si l’on veut faire en sorte que le progrès scientifique et les nouvelles technologies tiennent dûment compte des caractéristiques et des besoins des femmes et des filles. Cette stratégie ne doit pas être reléguée à la fin de l’activité de recherche, mais doit d’emblée en faire partie, notamment à l’étape du choix du sujet et de la conception de la méthodologie, et doit être présente à toutes les étapes de la recherche scientifique et de ses applications, y compris au moment de l’évaluation des résultats. Les décisions de financement ou de politique générale doivent aussi tenir compte de l’égalité des sexes.

33.Une stratégie d’égalité des sexes revêt une importance particulière pour le droit à la santé sexuelle et procréative. Les États parties doivent garantir l’accès aux technologies scientifiques modernes qui sont nécessaires aux femmes en ce qui concerne ce droit. En particulier, les États parties doivent garantir l’accès à des formes modernes et sûres de contraception, y compris aux contraceptifs d’urgence, aux médicaments pour l’interruption volontaire de grossesse, aux technologies d’aide à la procréation et à d’autres biens et services de santé sexuelle et procréative, sur la base de la non-discrimination et de l’égalité, comme le Comité l’indique dans son observation générale no 22 (2016) sur le droit à la santé sexuelle et procréative. Il convient d’accorder une attention particulière à la protection du consentement préalable, libre et éclairé des femmes aux traitements ou à la recherche scientifique dans le domaine de la santé sexuelle et procréative.

Personnes handicapées

34.Les personnes handicapées ont souvent fait l’objet d’une profonde discrimination dans l’exercice de leur droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, soit parce que leur accès à l’éducation de base et supérieure scientifique et aux carrières scientifiques est entravé par de lourds obstacles, sur le plan matériel et pour ce qui est de communiquer et de s’informer, soit parce que les produits du progrès scientifique ne tiennent pas compte de leurs spécificités et de leurs besoins particuliers. Par leur point de vue et leur expérience, les personnes handicapées apportent quelque chose d’irremplaçable au paysage scientifique, et contribuent ainsi décisivement à promouvoir le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier.

35.Les États parties devraient, au minimum, adopter les mesures et politiques ci-après pour surmonter la discrimination à l’égard des personnes handicapées dans l’exercice de ce droit : a) promouvoir la participation et la contribution des personnes handicapées, y compris des femmes handicapées qui se heurtent à des formes multiples de discrimination, aux procédures de décision concernant la science ; b) élaborer des statistiques sur l’accès à la science et à ses avantages, ventilées par handicap ; c) mettre en œuvre la conception universelle ; d) promouvoir des technologies qui facilitent l’accès des personnes handicapées à l’éducation et à l’emploi scientifiques ; e) veiller à ce que des aménagements raisonnables soient prévus à l’intention des personnes handicapées pour leur permettre d’accéder à l’éducation et à l’emploi scientifiques et faire en sorte qu’elles bénéficient des produits du développement scientifique, grâce notamment à la diffusion de celui-ci sous des formes adaptées ; f) adopter des mesures appropriées pour faire mieux connaître les capacités et les contributions des personnes handicapées et lutter contre les stéréotypes et les pratiques néfastes à l’égard de ces personnes ; et g) veiller à ce que les personnes handicapées aient accordé leur consentement libre, préalable et éclairé lorsqu’elles participent à la recherche.

Personnes vivant dans la pauvreté, inégalités et science

36.Au cours des dernières décennies, l’augmentation des inégalités a affaibli l’état de droit et a eu une incidence négative sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels (voir A/HRC/29/31). Les inégalités économiques font obstacle à l’égalité d’accès à l’éducation scientifique et aux bienfaits du progrès scientifique pour les ménages à faible revenu et particulièrement les personnes vivant dans la pauvreté. Ce problème renforce lui-même les inégalités économiques dès lors que les ménages à revenu élevé ont la possibilité de bénéficier d’une meilleure éducation scientifique et d’accéder aux innovations scientifiques les plus récentes et les plus onéreuses, ce qui permet aux personnes aisées de devenir plus productives au plan technologique que les personnes pauvres, ce qui perpétue les inégalités et confère à celles-ci une justification apparente.

37.L’égalité étant au cœur des droits de l’homme, les États doivent tout mettre en œuvre pour rompre le cercle vicieux entre les inégalités de fait et l’accès inégal au droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier. Cela suppose une triple stratégie : en premier lieu, les États parties devraient adopter des politiques pour réduire les inégalités, sujet qui dépasse le cadre de la présente observation générale mais est au centre des débats actuels sur la démocratie et les droits de l’homme. En deuxième lieu, les États parties doivent mener une stratégie spécifique pour renforcer l’accès des personnes vivant dans la pauvreté à une éducation scientifique de qualité. En troisième lieu, les États devraient rendre prioritaires des innovations scientifiques et technologiques qui répondent particulièrement aux besoins des personnes vivant dans la pauvreté, et veiller à ce que ces personnes aient accès à ces innovations.

38.Les États devraient adopter des mesures pour faire en sorte que les enfants vivant dans la pauvreté, en particulier ceux qui sont handicapés, accèdent pleinement à l’exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, car ils ont droit à des soins et à une assistance particuliers, grâce en particulier à des outils pédagogiques et à une éducation scientifique de qualité qui permettent à l’enfant d’atteindre tout son potentiel en développant sa personnalité, ses talents et ses aptitudes mentales et physiques.

Connaissances traditionnelles et peuples autochtones

39.Les connaissances locales, traditionnelles et autochtones, particulièrement au sujet de la nature, des espèces (flore, faune, semences) et de leurs propriétés, sont précieuses et ont un rôle important à jouer dans le dialogue scientifique mondial. Les États doivent prendre des mesures pour protéger ces connaissances par différents moyens, y compris des régimes de propriété intellectuelle spéciaux, et veiller à ce que la propriété et le contrôle de ces connaissances traditionnelles reviennent aux communautés locales et traditionnelles et aux peuples autochtones.

40.Les peuples autochtones et les communautés locales, partout dans le monde, devraient participer à un dialogue interculturel mondial pour le progrès scientifique, dès lors que leurs apports sont précieux et que la science ne devrait pas être instrumentalisée pour imposer une culture. Les États parties doivent assurer aux peuples autochtones, en respectant leur droit à l’autodétermination, les moyens aussi bien éducatifs que technologiques qui leur sont nécessaires pour participer à ce dialogue. Ils doivent aussi n’épargner aucun effort pour respecter et protéger les droits des peuples autochtones, particulièrement leurs terres, leur identité et la protection des intérêts moraux et matériels découlant de leurs connaissances, dont ils sont les auteurs, individuellement ou collectivement. Une consultation véritable est nécessaire aux fins d’obtenir un consentement libre, préalable et éclairé chaque fois que l’État partie ou des acteurs non étatiques mènent des recherches, prennent des décisions ou créent des politiques qui intéressent la science et ont une incidence sur les peuples autochtones, ou lorsqu’ils utilisent leurs connaissances.

C.Obligations spécifiques

41.Les États parties ont l’obligation de respecter, de protéger et de réaliser le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier.

Obligation de respecter

42.L’obligation de respecter impose aux États parties de ne pas s’ingérer, directement ou indirectement, dans l’exercice de ce droit. L’obligation de respecter peut consister notamment à : remédier aux obstacles qui empêchent d’accéder à une éducation scientifique de qualité et d’envisager une carrière scientifique ; s’abstenir de toute désinformation, tout dénigrement ou toute information tendancieuse ayant pour objet de diminuer la compréhension de la science et de la recherche scientifique par les citoyens ou le respect qu’ils leur accordent ; mettre fin à la censure d’Internet et aux restrictions arbitraires de l’accès à Internet, qui compromettent l’accès aux connaissances scientifiques et leur diffusion ; et s’abstenir d’imposer des obstacles à la collaboration internationale entre les scientifiques, ou mettre fin à ces obstacles, sauf à pouvoir justifier ces restrictions conformément à l’article 4 du Pacte.

Obligation de protéger

43.L’obligation de protéger impose aux États parties d’adopter des mesures pour empêcher toute ingérence dans l’exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, de la part de personnes physiques ou morales, consistant par exemple à empêcher l’accès aux connaissances ou à exercer une discrimination fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ou d’autres motifs. Ces personnes physiques ou morales peuvent être des universités, des écoles, des laboratoires, des associations culturelles ou scientifiques, des patients dans les hôpitaux et des volontaires pour participer à des expériences scientifiques. L’obligation de protéger peut consister notamment à : veiller à ce que les associations scientifiques, les universités, les laboratoires et les autres acteurs non étatiques n’appliquent pas de critères discriminatoires ; protéger les personnes contre la participation à des travaux de recherche ou à des essais qui contreviennent aux normes d’éthique qui s’appliquent à une recherche responsable et garantir leur libre consentement préalable et éclairé ; veiller à ce que des personnes privées physiques ou morales ne diffusent pas d’informations scientifiques erronées ou trompeuses ; et veiller à ce que l’investissement privé dans des institutions scientifiques ne soit pas utilisé pour influencer indûment l’orientation de la recherche ou pour restreindre la liberté scientifique des chercheurs.

44.Les États parties peuvent avoir, parfois, à protéger des personnes en fonction de leur propre contexte familial, social ou culturel, quand leur droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, est compromis. Les personnes qui, en raison de leur âge ou de leur capacité, ne peuvent pas faire des choix autonomes, doivent bénéficier d’une protection spéciale. Ainsi, lorsque les parents décident de ne pas faire vacciner leurs enfants pour des motifs que la communauté scientifique considère comme faux, la décision des parents entraîne des risques pour l’enfant, et parfois pour la société, en raison de la résurgence possible de maladies infectieuses qui étaient auparavant maîtrisées. Dans de tels cas, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Dans certains contextes, des pressions considérables peuvent être exercées par le milieu social de certaines personnes pour les obliger à suivre un traitement traditionnel au lieu de bénéficier des meilleurs soins médicaux disponibles. Les États parties doivent garantir à toute personne le droit de choisir ou de refuser le traitement qu’elle souhaite en toute connaissance des risques et des avantages du traitement en question, sous réserve de toute limitation établie conformément aux critères de l’article 4 du Pacte. Les États doivent aussi prévoir des mesures de protection contre les messages qui relèvent de la pseudo-science, qui suscitent ignorance et faux espoirs dans les secteurs les plus vulnérables de la population.

Obligation de réaliser

45.L’obligation de réaliser impose aux États d’adopter des mesures législatives, administratives, budgétaires et autres et d’instaurer des recours efficaces en vue d’assurer le plein exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier. Ces mesures recouvrent les politiques d’éducation, les dons, les outils de participation, la diffusion, l’accès à l’Internet et à d’autres sources de connaissances, la participation à des programmes de coopération internationale, et le fait de garantir un financement approprié.

46.L’obligation de réaliser est renforcée et précisée par le paragraphe 2 de l’article 15 du Pacte, qui dispose que les États parties prendront des mesures pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science. Les États parties ne sont pas seulement tenus de permettre aux personnes de participer au progrès scientifique ; ils le sont également de promouvoir activement le progrès scientifique par des moyens comme l’éducation et l’investissement dans la science et la technologie. Ils doivent ainsi adopter des politiques et des réglementations qui favorisent la recherche scientifique, allouer des ressources budgétaires suffisantes, et plus largement, créer un cadre favorable et participatif pour le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la technologie. Cela passe notamment par la protection et la promotion de la liberté intellectuelle et scientifique, y compris de la liberté d’expression et de la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations scientifiques, de la liberté d’association, et de la liberté de circulation ; des garanties de l’égalité d’accès et de participation de tous les acteurs publics et privés ; et le renforcement des capacités et l’éducation.

47.L’obligation de réaliser est particulièrement importante pour créer et garantir l’accès aux avantages des applications du progrès scientifique. Les États devraient agir au maximum de leurs ressources disponibles pour venir à bout des facteurs qui peuvent empêcher toute personne de bénéficier des nouvelles technologies ou d’autres formes d’applications du progrès scientifique. Cet aspect est particulièrement important pour les groupes défavorisés et marginalisés. Le progrès scientifique et ses applications devraient être, autant que possible, accessibles et abordables pour les personnes qui ont besoin de certains biens ou services. Les institutions publiques de différents secteurs devraient avoir pour mandat précis de remédier activement à l’exclusion du progrès scientifique et de ses applications, particulièrement dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Les connaissances au sujet du progrès scientifique et de ses applications devraient être rendues largement disponibles et accessibles au public par les écoles, les universités, les établissements techniques, les bibliothèques, les musées, les médias imprimés et électroniques et d’autres moyens. Des programmes spéciaux sont nécessaires pour remédier aux problèmes d’accès aux connaissances scientifiques et à leurs applications qui sont liés à l’âge, à la langue ou à d’autres aspects de la diversité culturelle.

48.Tous les États devraient, au maximum de leurs ressources disponibles, contribuer à l’œuvre commune de développement de la science. En recommandant aux pays pauvres de se consacrer exclusivement à la science appliquée, on accentue en fait les disparités et la répartition inéquitable des connaissances et de la puissance entre les États.

49.Diffuser la science et favoriser la participation des citoyens est une obligation des États dont l’importance ne saurait être sous-estimée. Une connaissance élémentaire de la science, de ses méthodes et de ses résultats fait partie aujourd’hui des atouts essentiels pour être un citoyen autonome, et pouvoir exercer d’autres droits, dont l’accès à un travail décent. Les États doivent tout mettre en œuvre pour garantir un accès équitable et ouvert à la littérature, aux données et aux contenus scientifiques, notamment en supprimant tout obstacle à la publication, à l’échange et à l’archivage des résultats scientifiques. Toutefois, l’objectif d’une science ouverte ne peut être atteint par l’État seul. C’est un effort commun auquel tous les autres acteurs devraient contribuer, aux échelons national et international, y compris les scientifiques, les universités, les éditeurs, les associations scientifiques, les organismes de financement, les bibliothèques, les médias et les institutions non gouvernementales. Tous ces acteurs jouent un rôle décisif dans la diffusion des connaissances, particulièrement dans le cas des résultats provenant de la recherche financée par des fonds publics.

50.Par suite du droit à la liberté de la recherche et de l’obligation qui incombe aux États de diffuser les connaissances scientifiques, les scientifiques ont, par principe, le droit de publier les résultats de leurs recherches. Toute restriction de ce droit doit être compatible avec l’article 4 du Pacte. En particulier, les États devraient veiller à ce que toute restriction appliquée à ce droit en vertu d’un contrat soit conforme à l’intérêt général, soit raisonnable et proportionnée, et permette une reconnaissance appropriée de la contribution des chercheurs scientifiques aux résultats de la recherche.

D.Obligations fondamentales

51.Les États parties doivent, en priorité, s’acquitter de certaines obligations fondamentales. Si un État partie manque à ces obligations fondamentales, il doit montrer qu’il a fait tout ce qui lui est raisonnablement possible pour s’y conformer, eu égard à l’ensemble des droits consacrés par le Pacte, et à l’obligation d’agir au maximum de ses ressources disponibles, individuellement et par l’aide et la coopération internationales.

52.Les obligations fondamentales liées au droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, imposent ce qui suit aux États parties :

Mettre fin aux lois, aux politiques et aux pratiques qui limitent abusivement l’accès des personnes ou de certains groupes aux installations, aux services, aux biens et aux informations qui se rattachent à la science, et au savoir scientifique et à ses applications ;

Relever les lois, politiques, pratiques, préjugés et stéréotypes de toute nature qui font obstacle à la participation des femmes et des filles dans les domaines de la science et de la technologie, et y mettre fin ;

Abroger les limitations visant la liberté de la recherche scientifique qui sont incompatibles avec l’article 4 du Pacte ;

Élaborer une loi-cadre nationale participative sur le droit considéré, qui prévoie des recours juridiques en cas de violation, et adopter et appliquer une stratégie ou un plan d’action nationaux participatifs pour la réalisation du droit considéré, y compris une stratégie pour le maintien, le développement et la diffusion de la science ;

Veiller à ce que la population ait accès à l’éducation et aux compétences de base nécessaires pour comprendre et appliquer les connaissances scientifiques et à ce que l’enseignement scientifique soit, dans les établissements publics comme dans les établissements privés, conforme aux meilleures connaissances scientifiques disponibles ;

Garantir l’accès aux applications du progrès scientifique qui sont fondamentales pour l’exercice du droit à la santé et des autres droits économiques, sociaux et culturels ;

Veiller à ce que dans l’affectation des ressources publiques, la priorité soit accordée à la recherche dans les domaines où le progrès scientifique est le plus nécessaire concernant la santé, l’alimentation et d’autres besoins fondamentaux liés aux droits économiques, sociaux et culturels et au bien-être de la population, s’agissant particulièrement des groupes vulnérables et marginalisés ;

Adopter des mécanismes visant à aligner les politiques et les programmes publics sur les données scientifiques que l’on s’accorde à considérer comme les meilleures disponibles ;

Veiller à ce que les professionnels de santé soient correctement formés à l’utilisation et à l’application des technologies et des médicaments modernes qui découlent du progrès scientifique ;

Promouvoir une information scientifique exacte et s’abstenir de toute désinformation, tout dénigrement et toute présentation au public d’une information tendancieuse ayant pour objet de diminuer la compréhension de la science et de la recherche scientifique par les citoyens ou le respect qu’ils leur accordent ;

Adopter des mécanismes pour protéger les citoyens des conséquences néfastes de pratiques fausses, mensongères et pseudo-scientifiques, en particulier lorsque d’autres droits économiques, sociaux et culturels sont menacés ;

Favoriser le développement des contacts et de la coopération internationaux dans le domaine scientifique, sans imposer de restrictions à la circulation des personnes, des biens et des connaissances au-delà de celles qui peuvent être justifiées conformément à l’article 4 du Pacte.

V.Thèmes spéciaux de portée générale

A.Participation et transparence

53.La transparence et la participation sont des principes essentiels pour rendre la science objective et fiable, et préserver celle-ci d’intérêts non scientifiques ou incompatibles avec les principes fondamentaux des droits de l’homme et le bien-être de la société. Le secret et la collusion contreviennent en principe à l’intégrité de la science au service de l’humanité. Dès lors, les États devraient prendre des mesures pour éviter les risques liés à l’existence de conflits d’intérêts, en créant le cadre voulu afin que les conflits d’intérêts effectifs ou perçus, en particulier ceux qui mettent en cause des chercheurs scientifiques chargés de conseiller les responsables de l’élaboration des politiques et les autres responsables publics, soient dûment déclarés et réglementés.

54.Un des bienfaits évidents du progrès scientifique est que les connaissances scientifiques soient utilisées dans le processus décisionnel et les politiques, en s’appuyant autant que possible sur les meilleures données scientifiques disponibles. Les États devraient s’efforcer d’aligner leurs politiques sur les meilleures données scientifiques disponibles. Ils devraient, en outre, favoriser la confiance et le soutien du public envers les sciences dans toute la société, et une culture de participation active des citoyens dans le domaine scientifique, grâce particulièrement à un débat démocratique énergique et éclairé sur la production et l’utilisation des connaissances scientifiques, et à un dialogue entre la communauté scientifique et la société.

55.Compte dûment tenu de la liberté scientifique, certaines décisions concernant l’orientation de la recherche scientifique ou l’adoption de certains progrès techniques devraient être soumises à un contrôle public et à la participation des citoyens. Autant que possible, les politiques scientifiques ou technologiques devraient être établies au moyen de processus participatifs et transparents et être assorties de mécanismes de transparence et de responsabilité.

B.Participation et principe de précaution

56.La participation recouvre aussi le droit à l’information et la participation à la maîtrise des risques associés à certains processus scientifiques et à leurs applications. Dans ce contexte, le principe de précaution joue un rôle important. Ce principe exige qu’en l’absence de certitude scientifique complète, lorsqu’une mesure ou une politique risque d’entraîner un dommage inacceptable pour le public ou l’environnement, des mesures soient prises pour l’empêcher ou l’atténuer. Un dommage est inacceptable pour l’homme ou l’environnement lorsqu’il : a) menace la vie ou la santé humaine ; b) est grave et est effectivement irréversible ; c) est inéquitable envers les générations présentes ou futures ; ou d) est imposé sans tenir dûment compte des droits fondamentaux des personnes concernées. Les études d’impact technologique et d’impact sur les droits de l’homme peuvent aider à détecter les risques éventuels rapidement et dès que les applications scientifiques commencent à être utilisées.

57.L’application du principe de précaution prête parfois à controverse, particulièrement en ce qui concerne la recherche scientifique elle-même, car le fait de soumettre la liberté de la recherche scientifique à des limitations est compatible avec le Pacte seulement dans les cas prévus à l’article 4. En revanche, ce principe admet une application plus générale en ce qui concerne l’utilisation et l’application des résultats scientifiques. Le principe de précaution ne doit pas entraver et empêcher le progrès scientifique, qui est bénéfique pour l’humanité. Il doit cependant permettre de répondre aux risques qui se posent pour la santé humaine et l’environnement, entre autres. Ainsi, dans les cas douteux, la participation et la transparence deviennent essentielles, car les risques et le potentiel de certains progrès techniques ou de certaines recherches scientifiques devraient être rendus publics afin de permettre à la société de décider si les risques sont ou non acceptables, grâce à un débat public, transparent et participatif.

C.Recherche scientifique privée et propriété intellectuelle

58.Dans le monde contemporain, une partie importante de la recherche scientifique est menée par des entreprises privées et des acteurs non étatiques. Cet état de choses est non seulement compatible avec le Pacte, mais peut aussi contribuer à l’exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier. Cependant, privatiser la recherche scientifique à grande échelle, sans autre considération, risque parfois de compromettre l’exercice de ce droit.

59.Dans certains cas, la recherche scientifique menée ou financée par des acteurs privés peut créer des conflits d’intérêts, par exemple lorsque des sociétés privées soutiennent des recherches liées au type d’activité économique qu’elles exercent, à l’instar de certaines sociétés productrices de tabac par le passé. Des mécanismes devraient être prévus pour la déclaration de ces conflits d’intérêts effectifs ou perçus.

60.La recherche scientifique privée est allée de pair avec le développement des régimes juridiques internationaux et nationaux de propriété intellectuelle, qui entretiennent des liens complexes avec le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier. D’un côté, la propriété intellectuelle favorise le développement de la science et de la technologie par des incitations économiques à l’innovation, parmi lesquelles les brevets d’invention, qui stimulent la participation d’acteurs privés à la recherche scientifique. De l’autre, la propriété intellectuelle peut avoir une incidence négative sur le progrès scientifique et l’accès à ses avantages, d’au moins trois façons. Il est nécessaire de s’attaquer à ces trois problèmes pour faire en sorte que la propriété intellectuelle favorise la recherche et l’innovation indispensables au plein exercice des droits économiques, sociaux et culturels, sans compromettre ces droits.

61.En premier lieu, la propriété intellectuelle fausse parfois le financement de la recherche scientifique, car il arrive que le soutien financier privé ne bénéficie qu’à des projets de recherche rentables, tandis que le financement destiné à remédier à des problèmes fondamentaux pour les droits économiques, sociaux et culturels est insuffisant, du fait que ces problèmes ne présentent pas d’attrait financier pour les entreprises. C’est ce qui s’est produit pour les maladies dites orphelines. En deuxième lieu, certaines règles de propriété intellectuelle limitent la diffusion d’informations sur la recherche scientifique pendant un certain délai, telles que l’exclusivité des données reconnue au détenteur du brevet dans certains des traités « ADPIC+ ». En outre, le prix excessif de certaines publications scientifiques constitue un obstacle pour les chercheurs à faible revenu, en particulier dans les pays en développement. Toutes ces restrictions freinent le progrès scientifique. En troisième lieu, même si la propriété intellectuelle offre des incitations positives à de nouvelles activités de recherche, et joue donc un rôle important en contribuant à l’innovation et au développement scientifiques, elle peut, dans certains cas, créer des obstacles importants aux personnes qui souhaitent bénéficier des retombées du progrès scientifique, qui peuvent être indispensables à l’exercice d’autres droits économiques, sociaux et culturels, comme le droit à la santé. Les brevets donnent à leur détenteur le droit exclusif temporaire d’exploiter le produit ou le service de son invention. Le détenteur peut ainsi déterminer un prix pour le produit ou le service en question. Un prix très élevé met le produit ou le service hors d’accès pour les personnes, ou les pays en développement à faible revenu, comme cela s’est produit avec de nouveaux médicaments essentiels pour soigner ou garder en vie les personnes atteintes de certaines maladies.

62.Les États devraient prendre les mesures qui s’imposent pour promouvoir les effets positifs de la propriété intellectuelle sur le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, tout en en empêchant les effets négatifs possibles. En premier lieu, pour remédier à la distorsion de financement associée à la propriété intellectuelle, les États devraient assurer un soutien financier approprié à toute recherche importante pour l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, soit par un effort national, soit en faisant appel, si nécessaire, à la coopération internationale et technique. Les États pourraient aussi recourir à d’autres incitations, telles que les primes d’entrée sur le marché, qui découplent la rémunération des succès de recherche d’avec les résultats commerciaux futurs, ce qui favorise la recherche par des acteurs privés dans des domaines qui sont autrement délaissés. En deuxième lieu, les États devraient tout mettre en œuvre, dans le cadre de leur réglementation nationale et des accords internationaux sur la propriété intellectuelle, pour garantir la dimension sociale de la propriété intellectuelle, conformément aux obligations internationales qu’ils ont acceptées en matière de droits de l’homme (E/C.12/2001/15, par. 18). Un équilibre doit être atteint entre la propriété intellectuelle et l’accès et la diffusion libres des connaissances scientifiques et de leurs applications, en particulier de celles qui déterminent la réalisation d’autres droits économiques, sociaux et culturels, comme la santé, l’éducation et l’alimentation. Le Comité réaffirme que la propriété intellectuelle, en dernière analyse, est un bien social et a une fonction sociale, et que, partant, les États doivent veiller à ce que le coût excessif de l’accès à des biens comme les médicaments essentiels, les semences ou d’autres moyens de production alimentaire, ou les manuels scolaires et les supports pédagogiques, ne porte pas atteinte au droit de larges secteurs de la population à la santé, à l’alimentation et à l’éducation.

D.Interdépendance avec d’autres droits

63.Le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, est un droit fondamental doté d’une valeur intrinsèque, mais il a aussi une valeur instrumentale, car c’est un moyen essentiel de réaliser d’autres droits économiques, sociaux et culturels, en particulier le droit à l’alimentation et le droit à la santé.

Le droit à l’alimentation

64.Les progrès scientifiques et technologiques ont accru la productivité agricole, ce qui a contribué à augmenter l’offre alimentaire par habitant et à réduire la famine. Néanmoins, les effets sur l’environnement de certaines des technologies de la révolution verte et les risques que comporte une dépendance accrue à l’égard des prestataires de technologie ont conduit notamment l’Assemblée générale à reconnaître que les paysans et les autres travailleurs ruraux ont le droit de déterminer leurs propres systèmes alimentaires et agricoles, ce que nombre d’États et de régions reconnaissent comme le droit à la souveraineté alimentaire. Ainsi, le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, devrait, dans le domaine agricole, préserver, et non violer, le droit des paysans et des autres travailleurs ruraux de choisir les technologies qui leur conviennent le mieux. Les techniques agronomiques écologiques à faible niveau d’intrants qui augmentent la teneur des sols en matière organique, favorisent le piégeage du carbone et protègent la biodiversité devraient aussi être encouragées.

65.En outre, les États parties devraient faire en sorte que la recherche-développement agricole tienne compte des besoins des paysans et des travailleurs ruraux et veiller à ce qu’ils participent activement à la détermination des priorités et à la conduite de la recherche-développement, compte tenu de leur expérience et dans le respect de leur culture. Toute politique ou mesure adoptée concernant les biocombustibles et les pesticides devrait tenir compte de toutes leurs interdépendances complexes et des meilleures données scientifiques disponibles.

66.L’inadéquation des régimes alimentaires est devenue un facteur majeur d’augmentation des maladies non transmissibles dans toutes les régions. Étant donné les effets à long terme prouvés d’une nutrition adéquate pendant la grossesse et jusqu’à l’âge de 2 ans, les États devraient s’efforcer davantage de réglementer la commercialisation des substituts du lait maternel, de diffuser des informations sur les avantages de pratiques alimentaires adéquates, et de créer un cadre favorable à l’allaitement maternel. Ils devraient aussi réorienter les investissements dans le développement agricole afin que le seul but ne soit pas de stimuler la production de cultures céréalières − riz, blé et maïs − mais aussi de favoriser des régimes alimentaires sains, y compris des mesures appropriées pour réduire la consommation excessive de sucre. Les cultures céréalières sont principalement une source de glucides et contiennent assez peu de protéines et autres nutriments indispensables à un régime alimentaire adéquat.

Le droit à la santé

67.Il existe, entre le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, et le droit à la santé, des liens évidents et divers. En premier lieu, le progrès scientifique crée des applications médicales qui évitent les maladies, comme les vaccins, ou permettent de les traiter plus efficacement. Le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, contribue donc à réaliser le droit à la santé. Les États devraient promouvoir la recherche scientifique, par un appui financier ou d’autres incitations, afin de créer de nouvelles applications médicales et de les rendre accessibles et abordables pour tous, en particulier les plus vulnérables. En particulier, conformément au Pacte, les États parties devraient considérer la promotion du progrès scientifique comme une priorité en vue de disposer de moyens plus efficaces et plus accessibles pour la prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres, ainsi que la lutte contre ces maladies (art. 12, par. 2 c)).

68.À cet égard, la recherche scientifique est entravée, dans le cas de certaines substances, par les conventions internationales sur la lutte antidrogue, qui classent ces substances comme étant nocives pour la santé et dépourvues d’intérêt scientifique ou médical. Or, certaines de ces classifications ont été établies sans base scientifique suffisante pour les étayer, car il existe des données crédibles concernant l’utilisation médicale d’un certain nombre d’entre elles, comme le cannabis pour le traitement de certaines épilepsies. Ainsi, les États parties devraient harmoniser l’accomplissement de leurs obligations au titre du régime international de contrôle des drogues avec leur obligation de respecter, de protéger et de réaliser le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, en révisant régulièrement leur politique relative aux substances soumises à contrôle. L’interdiction de la recherche sur ces substances constitue en principe une limitation du droit considéré et devrait répondre aux critères de l’article 4 du Pacte. En outre, compte tenu des avantages potentiels pour la santé de ces substances soumises à contrôle, les restrictions devraient aussi être mises en balance avec les obligations imposées aux États parties par l’article 12 du Pacte.

69.En deuxième lieu, certaines applications du progrès scientifique sont protégées par des régimes de propriété intellectuelle. Le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, aide les États à faire en sorte que ces droits de propriété n’empiètent pas sur le droit à la santé. Ce droit constitue dès lors un médiateur important entre un droit humain − le droit à la santé − et un droit de propriété. Comme il est énoncé dans la Déclaration de Doha de l’Organisation mondiale du commerce sur les ADPIC et la santé publique (2001), le régime de propriété intellectuelle devrait être interprété et mis en œuvre d’une manière qui appuie le droit des États « de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments ». Ainsi, les États parties devraient recourir pleinement, lorsque c’est nécessaire, aux flexibilités prévues dans l’Accord sur les ADPIC, dont les licences obligatoires, pour garantir l’accès aux médicaments essentiels, en particulier celui des groupes les plus défavorisés. Les États parties devraient aussi s’abstenir d’accorder des durées excessives de protection par brevet pour de nouveaux médicaments afin de permettre la production, dans un délai acceptable, de médicaments génériques sûrs et efficaces pour les mêmes maladies.

70.En troisième lieu, les États parties sont tenus de rendre disponibles et accessibles à tous, sans discrimination, en particulier à l’égard des plus vulnérables, toutes les meilleures applications disponibles du progrès scientifique qui sont nécessaires pour atteindre le meilleur état de santé possible. Les États parties devraient, pour s’acquitter de cette obligation, agir au maximum de leurs ressources disponibles, y compris celles dont ils disposent par l’assistance et la coopération internationales, en tenant compte de l’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels. Des médicaments génériques sûrs et efficaces devraient être privilégiés sur les médicaments de marque dans les plans de santé nationaux aux fins de mieux utiliser les ressources disponibles pour la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels.

71.En quatrième lieu, certaines recherches scientifiques peuvent comporter des risques de santé, tant pour les participants à la recherche que par suite des applications de la recherche considérée. Les États parties devraient empêcher ou atténuer ces risques en appliquant rigoureusement le principe de précaution et en protégeant les participants à la recherche scientifique. En particulier, les États devraient tout mettre en œuvre pour que les médicaments et les traitements médicaux, y compris dans le domaine de la toxicomanie, reposent sur des données factuelles, et que les risques en jeu aient été évalués et communiqués correctement, d’une manière claire et transparente, afin de permettre le consentement dûment éclairé des patients.

E.Risques et promesses des nouvelles technologies

72.Le changement technologique est actuellement si profond et rapide qu’il brouille la démarcation entre les mondes physique, numérique et biologique, en raison de la fusion croissante qui s’opère entre les progrès scientifiques et technologiques dans des domaines comme l’intelligence artificielle, la robotique, l’impression tridimensionnelle, les biotechnologies, le génie génétique, l’informatique quantique et la gestion des données massives. Ces innovations pourraient changer non seulement la société et le comportement humain, mais l’être humain lui-même, par le génie génétique ou l’introduction dans le corps humain de dispositifs technologiques capables de transformer certaines fonctions biologiques.

73.Ces nouvelles technologies, d’un côté, pourraient renforcer l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi, les applications de l’intelligence artificielle peuvent déboucher sur des gains de productivité et d’efficacité immenses dans l’industrie ou les services, et les biotechnologies permettre la guérison ou le traitement de nombre de maladies. D’un autre côté, ces changements risquent d’aggraver les inégalités sociales en accroissant le chômage et la ségrégation sur le marché du travail, et les algorithmes intégrés dans l’intelligence artificielle peuvent renforcer la discrimination, etc.

74.Les États parties doivent adopter des politiques et des mesures qui étendent le bénéfice de ces nouvelles technologies, et en même temps, en atténuent les risques. Néanmoins, il n’existe pas de solution aisée étant donné la diversité de ces nouvelles technologies et leurs effets complexes. Le Comité entend donc suivre en permanence les effets de ces nouvelles technologies sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Pour le Comité, trois éléments demeurent très importants : en premier lieu, la coopération internationale devrait être renforcée dans ce domaine car une gestion efficace de ces technologies nécessite des règles mondiales. Une adaptation fragmentée des pays à ces technologies transnationales créerait des lacunes de gouvernance préjudiciables à l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels et perpétuerait le fossé technologique et les disparités économiques.

75.En deuxième lieu, les décisions concernant le développement et l’utilisation de ces technologies devraient être prises d’après un cadre fondé sur les droits de l’homme et une perspective globale et inclusive. Tous les principes transversaux des droits de l’homme, notamment la transparence, la non-discrimination, la responsabilité et le respect de la dignité humaine, sont essentiels dans ce contexte. Ainsi, les États parties devraient élaborer des mécanismes visant à ce que les systèmes intelligents autonomes soient conçus de façon à empêcher la discrimination, à pouvoir en expliquer les décisions et à permettre de demander des comptes sur leur utilisation. En outre, les États parties devraient adopter un cadre juridique imposant aux acteurs non étatiques d’exercer une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme, particulièrement dans le cas des grandes entreprises technologiques (voir A/74/493). Ce cadre juridique devrait prévoir des mesures qui obligent les entreprises à empêcher la discrimination à l’entrée comme à la sortie des systèmes d’intelligence artificielle et autres technologies.

76.En troisième lieu, certains aspects liés à ces nouvelles technologies méritent que l’on s’en préoccupe en raison de leurs effets particuliers sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi, les États parties devraient adopter des politiques pour veiller à ce que les personnes exposées à un chômage temporaire ou de longue durée par suite du progrès scientifique et technologique disposent de possibilités de formation et de réinsertion professionnelles et soient soutenues dans leur démarche. En outre, étant donné que nombre des inégalités qui se profilent sont étroitement liées au fait que certaines entreprises sont en mesure d’accéder à des données massives et de stocker et d’exploiter ces données, il est essentiel de réglementer la propriété et le contrôle des données conformément aux principes des droits de l’homme.

VI.Coopération internationale

77.Le devoir de coopérer sur le plan international en vue d’assurer l’exercice de tous les droits économiques, sociaux et culturels, consacré à l’article 2 du Pacte et aux Articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies, vaut d’autant plus, s’agissant du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, qu’aux termes du paragraphe 4 de l’article 15 du Pacte, les États parties reconnaissent les bienfaits qui doivent résulter de l’encouragement et du développement de la coopération et des contacts internationaux dans le domaine de la science et de la culture. Les États doivent prendre des mesures dans leurs lois et leurs politiques, y compris au titre des relations diplomatiques et internationales, pour promouvoir un climat mondial favorable au progrès de la science et au bénéfice de ses applications.

78.Ce devoir renforcé de coopération internationale a plusieurs justifications et dimensions importantes. En premier lieu, comme certains domaines de la science nécessitent un effort universel, la coopération internationale entre scientifiques devrait être encouragée afin de promouvoir le progrès scientifique. Ainsi, les États devraient prendre des mesures pour promouvoir la « communauté scientifique et technologique internationale » et permettre aux chercheurs scientifiques d’y prendre part, notamment en facilitant leurs déplacements sur leur territoire et en dehors, et en menant des politiques qui permettent aux chercheurs scientifiques d’échanger librement des données et des ressources éducatives au niveau international, grâce notamment à des universités virtuelles.

79.En deuxième lieu, la coopération internationale est indispensable en raison des disparités profondes qui existent entre les pays dans les domaines de la science et de la technologie. Si des contraintes financières ou technologiques leur imposent de le faire, les pays en développement devraient faire appel à l’assistance et la coopération internationales aux fins de s’acquitter des obligations prévues par le Pacte. Les pays développés devraient contribuer au développement de la science et de la technologie dans les pays en développement, en adoptant des mesures à cet effet, par exemple en orientant l’aide au développement et le financement du développement vers la consolidation et l’amélioration de l’enseignement, de la recherche et de la formation scientifiques dans les pays en développement, en soutenant la collaboration entre les communautés scientifiques des pays développés et des pays en développement de façon à répondre aux besoins de tous les pays, et en favorisant leur progrès dans le respect des réglementations nationales. L’accès aux résultats de la recherche et aux applications qui en sont faites devrait être soumis à des règles qui ménagent aux pays en développement et à leurs citoyens un accès approprié à ces produits dans des conditions abordables, s’agissant notamment de l’accès aux médicaments essentiels. Tout en respectant le droit des scientifiques de décider de leur propre carrière, les États développés devraient aussi mener des politiques judicieuses pour détecter les effets de l’exode des compétences et y remédier plutôt que de les encourager.

80.En troisième lieu, il convient, moyennant les incitations et les règles appropriées, de diffuser les avantages et les applications du progrès scientifique au profit de la communauté internationale, en particulier des pays en développement, des populations pauvres, des groupes ayant des besoins particuliers et des groupes vulnérables, surtout lorsque de ces avantages dépend étroitement l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels.

81.En quatrième lieu, la coopération internationale est primordiale du fait que les risques mondiaux les plus graves qui se rattachent à la science et à la technologie, tels que les changements climatiques, l’appauvrissement rapide de la biodiversité, la mise au point de technologies dangereuses, dont les armes autonomes fondées sur l’intelligence artificielle, ou la menace des armes de destruction massive, en particulier des armes nucléaires, sont transnationaux, et que seule une coopération internationale solide permet d’y répondre efficacement. Les États devraient promouvoir des accords multilatéraux pour empêcher ces risques de se concrétiser ou pour en atténuer les effets. Les États devraient aussi, en coopération avec d’autres États, prendre des mesures contre la biopiraterie et le trafic illicite d’organes, de tissus, d’échantillons, de ressources génétiques et de matériel génétique.

82.Les pandémies sont un exemple primordial de la nécessité d’une coopération scientifique internationale face aux menaces transnationales. Les virus et autres agents pathogènes ne respectent pas les frontières. Faute de mesures appropriées, une épidémie locale peut très vite devenir une pandémie aux conséquences dévastatrices. Le rôle de l’Organisation mondiale de la Santé dans ce domaine demeure fondamental et doit être appuyé. Pour lutter efficacement contre les pandémies, les États doivent soutenir davantage la coopération scientifique internationale, car les solutions nationales sont insuffisantes. Une coopération internationale accrue peut mieux préparer les États et les organisations internationales à affronter les pandémies futures, notamment par l’échange de renseignements scientifiques sur les agents pathogènes éventuels. Elle devrait aussi améliorer les mécanismes d’alerte rapide, sur la base d’une information transparente et à jour, communiquée par les États, sur les épidémies naissantes qui peuvent dégénérer en pandémie, ce qui autoriserait des interventions rapides, sur la base des meilleures données scientifiques, en vue d’enrayer les épidémies et d’empêcher qu’elles ne deviennent des pandémies. En cas de pandémie, le partage des meilleures connaissances scientifiques et de leurs applications, en particulier dans le domaine médical, devient indispensable pour atténuer l’impact de la maladie et accélérer la découverte de traitements et de vaccins efficaces. Après la pandémie, la recherche scientifique doit être encouragée pour en tirer les enseignements et mieux se préparer aux éventuelles pandémies futures.

83.Les États ont aussi des obligations extraterritoriales pour ce qui est d’assurer le plein exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier. En particulier, les États parties devraient, au moment de négocier des accords internationaux ou d’adopter leur régime national de propriété intellectuelle, faire en sorte que les connaissances traditionnelles soient protégées, que les contributions au savoir scientifique soient correctement attribuées et que les régimes de propriété intellectuelle favorisent l’exercice de ce droit. Ces accords bilatéraux et multilatéraux devraient permettre aux pays en développement de renforcer leur capacité de participer à la production et à la diffusion du savoir scientifique et de bénéficier de ses applications. Le Comité rappelle que les États parties qui prennent part aux décisions en leur qualité de membre d’organisations internationales ne peuvent méconnaître leurs obligations en matière de droits de l’homme (voir E/C.12/2016/1). Dès lors, les États parties devraient, au sein de ces organisations, orienter leurs efforts et exercer leur droit de vote dans le but d’assurer le respect, la protection et l’exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier.

84.Les États parties ont aussi l’obligation extraterritoriale de réglementer et de surveiller la conduite des sociétés multinationales qu’elles sont susceptibles d’influencer, de façon que ces entreprises exercent la diligence voulue pour respecter le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, y compris dans leurs activités à l’étranger. Les États parties devraient offrir des recours, y compris des recours judiciaires, aux victimes de ces entreprises.

VII.Application au niveau national

85.Si les États parties disposent d’une vaste latitude pour sélectionner les mesures qu’ils estiment les plus indiquées en vue d’assurer le plein exercice de tous les droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, au moins quatre types de mesures devraient être appliquées.

86.En premier lieu, les États parties devraient mettre en place un cadre normatif propre à garantir le plein exercice du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, sans discrimination, et à favoriser de manière participative le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la technologie. Ce cadre devrait prévoir notamment : la protection de l’accès, sans discrimination, aux avantages du progrès scientifique, en particulier lorsqu’il y va d’autres droits économiques, sociaux et culturels pour les plus démunis ; la protection de la liberté de la recherche, toute limitation devant être compatible avec l’article 4 du Pacte ; des mesures visant à ce que l’éthique et les droits de l’homme soient respectés dans le cadre de la recherche scientifique, dont la création de comités d’éthique si nécessaire ; des mesures visant à harmoniser la propriété intellectuelle avec le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier ; et une protection appropriée contre toute forme de discrimination.

87.En deuxième lieu, les États parties devraient élaborer un plan d’action national en vue de promouvoir le progrès scientifique et d’en diffuser les résultats et les produits à tous, sans discrimination. Un tel plan doit aider à ce que les diverses entreprises scientifiques ne soient pas menées de manière fragmentée et sans coordination, mais s’inscrivent dans un effort intégré pour la promotion, le maintien et la diffusion de la science. Ce plan d’action devrait prévoir notamment : des mesures visant à faciliter l’accès sans discrimination aux applications du progrès scientifique, en particulier lorsque ces applications sont nécessaires à l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels ; des mesures visant à renforcer les capacités scientifiques humaines et institutionnelles de l’État ; des fonds publics suffisants, en vue notamment de financer la recherche nécessaire pour répondre aux besoins de la population et la promotion de l’accès à l’enseignement scientifique, en particulier celui des groupes qui sont ordinairement l’objet de discrimination dans ce domaine ; des mécanismes visant à promouvoir une culture de l’investigation scientifique, la confiance du public et l’intérêt envers les sciences dans la société, grâce en particulier à un débat démocratique vigoureux et éclairé sur la production et l’utilisation des connaissances scientifiques, et à un dialogue entre la communauté scientifique et la société ; des mécanismes visant à protéger la population des pratiques fausses, trompeuses et pseudo-scientifiques, en particulier lorsque d’autres droits économiques, sociaux et culturels sont menacés ; des mesures propres à garantir l’éthique scientifique, consistant à créer ou promouvoir des comités d’éthique indépendants, pluridisciplinaires et pluralistes, pour évaluer les questions éthiques, juridiques, scientifiques et sociales que soulèvent éventuellement des projets de recherche ; et des mesures visant à améliorer les conditions professionnelles et matérielles des chercheurs scientifiques.

88.En troisième lieu, les États parties devraient définir des indicateurs et des critères appropriés, y compris des statistiques ventilées et des échéances, qui leur permettent de suivre efficacement la mise en œuvre du droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier.

89.En quatrième lieu, comme tous les autres droits, le droit de participer au progrès scientifique et à ses applications, et d’en bénéficier, est exécutoire, et partant, est aussi invocable. Les États parties doivent prévoir des mécanismes et des institutions efficaces, s’il n’en existe pas déjà, pour empêcher des violations de ce droit et garantir aux victimes des recours efficaces − judiciaires, administratifs et autres − en cas de violation. Comme ce droit peut être menacé ou violé, non seulement par des actions de l’État, mais aussi des omissions, les recours doivent être efficaces dans les deux cas.