Objet :

Absence d’accès effectif aux tribunaux en vue de protéger le droit à un logement suffisant

Question(s) de fond :

Mesures prises pour assurer le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte, droit à un logement suffisant

Question(s) de procédure :

Compétence ratione temporis du Comité

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1) et 11 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

3 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (cinquante-cinquième session)

concernant la

Communication no 2/2014

Présentée par :

I. D. G. (représentée par deux conseils, Fernando Ron et Fernando Morales)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Espagne

Date de la communication :

28 janvier 2014 (date de réception par le Comité)

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (ci-après le Comité), institué en vertu de la résolution no 1985/17 du Conseil économique et social,

Réuni le 17 juin 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2/2014 présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après le Protocole),

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 1 de l’article 9du Protocole facultatif

1.1L’auteure de la communication est Mme I. D. G., de nationalité espagnole, née le 28 juin 1965. Elle se déclare victime d’une violation par l’État partie des droits que lui confèrent l’article 11 et le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Dans les présentes constatations, le Comité résume d’abord les renseignements fournis et les arguments avancés par les parties. Il examine ensuite les questions de recevabilité et de fond qui se posent dans la communication puis formule des conclusions et des recommandations.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure vit à Madrid. Le 15 juin 2007, elle a acheté un logement avec une grande partie de ses économies et au moyen d’un prêt bancaire assorti d’une garantie hypothécaire. D’après elle, la valeur de ce logement a été estimée, aux fins de sa mise aux enchères, à 742 890,68 euros.

2.2Du fait de la grave crise économique dans l’État partie et pour raisons personnelles, l’auteure n’a pas honoré plusieurs échéances de remboursement de l’emprunt hypothécaire qui représentent un total d’environ 11 000 euros. Elle fait valoir que la banque (l’entité créancière) n’a pas accepté de négocier.

2.3L’entité créancière a engagé la liquidation de la totalité de l’emprunt et lancé une procédure spéciale de saisie de biens hypothéqués auprès de la chambre no 31 du tribunal de première instance de Madrid (ci-après le tribunal) en vue de mettre son logement aux enchères. Le 21 juin 2012, le tribunal a engagé la procédure de saisie hypothécaire pour un remboursement de principal de 381 153,66 euros, d’intérêts ordinaires de 5 725,80 euros et d’intérêts moratoires de 856,77 euros.

2.4Sur ordre du tribunal, les 6, 27 et 28 septembre 2012, le Service commun des notifications et des saisies de Madrid a tenté de notifier à l’auteure la demande et l’avis de saisie hypothécaire à l’adresse du bien hypothéqué, indiquée par l’auteure dans les documents du prêt. L’agent notificateur n’y a pas trouvé l’auteure. À la troisième tentative, il a indiqué par écrit que « personne ne répondait ni n’ouvrait bien qu’il ait sonné à plusieurs reprises au domicile indiqué de l’intéressée » et a ajouté la note suivante : « Après avoir vérifié que le nom de la débitrice figurait sur la boîte aux lettres, je suis entré dans l’immeuble, j’ai sonné à la porte de l’appartement mais n’ai pas obtenu de réponse. Le concierge affirme qu’il travaille depuis peu dans cet immeuble, que l’intéressée figure sur la liste des personnes qui y habitent mais qu’il ne la connaît pas car il arrête son service à 18 heures ». Enfin, le 4 octobre 2012, à 21 h 24, un agent s’est de nouveau présenté chez l’auteure, sans succès. L’auteure fait valoir qu’elle ne se trouvait pas chez elle chaque fois qu’un agent est venu lui remettre l’avis de saisie.

2.5Le 30 octobre 2012, le tribunal a décidé qu’un avis serait apposé sur le panneau d’affichage des annonces légales du tribunal afin de notifier l’avis et la procédure de saisie. L’auteure fait valoir que la publication de cet avis n’a fait l’objet d’aucune publicité à l’extérieur du tribunal, ni dans un organe de presse officiel ni au Journal officiel. Elle indique que le tribunal ne la trouvant pas à son domicile habituel aurait dû remettre l’avis au concierge, qui était présent dans son immeuble les 6 et 28 septembre 2012, ou à un voisin. Par conséquent, le tribunal ne lui a pas notifié l’ouverture de la procédure d’une manière qui lui permettait de se défendre.

2.6Le 11 février 2013, le tribunal a ordonné la mise aux enchères du logement hypothéqué. Les 1er et 21 mars 2013, le Service commun des notifications et des saisies de Madrid a tenté, sans succès, de notifier à l’auteure cette mise aux enchères, à l’adresse du bien hypothéqué. À la seconde tentative, l’agent notificateur a consigné qu’il avait « laissé un avis de retrait à la poste avant le 5 avril 2013 ». Le 4 avril 2013, l’auteure, par le biais d’un mandataire, a fini par retirer l’avis. L’auteure affirme que ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle a pris connaissance de la procédure de saisie hypothécaire et de la mise aux enchères de son logement.

2.7Le 10 ou le 11 avril 2013, l’auteure a formé un recours en rétractation auprès du tribunal concernant son ordonnance du 11 février 2013, dont elle a demandé la nullité, ainsi que celle de l’ensemble de la procédure de saisie hypothécaire jusqu’au moment de la citation, puisque la demande de saisie hypothécaire ne lui avait pas été notifiée aux différentes adresses dont l’entité créancière avait connaissance, notamment le domicile d’un proche ou son lieu de travail, contrevenant notamment ainsi à l’exercice des droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif. L’auteure a fait valoir que, d’après les articles 156 et 164 du Code procédure civile et la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et du Tribunal suprême, la notification par voie d’affichage ne peut être employée qu’une fois que tous les moyens de notification à personne et de localisation du défendeur à d’autres adresses ont été épuisés.

2.8Le 23 avril 2013, le tribunal a rejeté le recours de l’auteure. Dans sa décision, il a indiqué que le commandement de payer devait être délivré au domicile fixé par les parties, qu’il s’agisse du domicile initialement établi ou d’un autre établi par la suite, conformément à l’article 683 du Code de procédure civile. D’après le tribunal, « depuis la révision de l’article 686 3) du Code de procédure civile, dans le cadre des procédures simplifiées de saisie hypothécaire, les tribunaux passent directement à la notification par voie d’affichage » sans qu’il soit nécessaire de notifier le commandement de payer sur le lieu de travail ou à toute autre adresse du défendeur. Dans le cas de l’auteure, le tribunal a indiqué que le Service commun des notifications et des saisies de Madrid avait dûment tenté de lui remettre l’avis à trois reprises, dont deux fois l’après-midi, puisque le concierge de l’immeuble avait laissé entendre qu’elle se trouvait chez elle plutôt à ce moment-là. Par ailleurs, le tribunal a indiqué qu’il n’était pas compétent pour examiner la nullité de la décision du 11 février 2013, en vertu des articles 5 et 562, paragraphe 2, du Code de procédure civile et de l’article 455 de la loi organique du pouvoir judiciaire.

2.9Le 23 mai 2013, l’auteure a formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel et affirmé que la décision du tribunal, qui avait rejeté son recours en rétractation, contrevenait à l’exercice des droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif que prévoient les articles 24 et 25 de la Constitution de l’État partie, et que le tribunal ne suivait pas la jurisprudence du Tribunal constitutionnel. L’auteure a fait valoir que le tribunal ne lui avait pas notifié la demande de saisie hypothécaire, ni l’ouverture de la procédure ni tout autre acte antérieur à l’ordonnance de mise aux enchères, et qu’il n’avait pas épuisé tous les moyens existants pour lui remettre la notification, comme le prévoient les articles 155, 156 et 683 du Code de procédure civile.

2.10Le 16 octobre 2013, le Tribunal constitutionnel a débouté l’auteure de son recours du fait de « l’absence manifeste de violation d’un droit fondamental protégé par l’amparo », conformément aux articles 44, paragraphe 1, et 50, paragraphe 1 a), de la loi organique du Tribunal constitutionnel.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a enfreint son droit à un logement suffisant consacré par le paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte.

3.2L’auteure souligne que son cas se produit dans un contexte de grave crise sociale dans l’État partie où plus de 400 000 expulsions et saisies hypothécaires ont eu lieu entre 2007 et la date de la présentation de la communication au Comité.

3.3L’auteure fait valoir que, à la lumière des droits garantis par le Pacte, les autorités judiciaires doivent veiller à la notification des décisions et actes judiciaires. Toutefois, dans son cas, le tribunal, n’ayant pu lui notifier en personne la décision à son domicile, a directement procédé à la notification par voie d’affichage, sans recourir aux autres formes ou moyens de notification prévus par le Code de procédure civile. Du fait du défaut de diligence du tribunal, ni la demande de saisie hypothécaire déposée par l’entité créancière, ni l’ouverture de la procédure, ni tout autre acte antérieur à la mise aux enchères ne lui ont été notifiés. L’auteure affirme que, dans la pratique, l’absence de notification l’a empêchée de donner juridiquement suite à la demande de saisie hypothécaire et de faire valoir son droit au logement devant les tribunaux puisqu’elle n’a pris connaissance de l’existence de la procédure qu’une fois que le tribunal eut ordonné la mise aux enchères de son logement. N’ayant pas pu déposer de recours juridictionnel effectif en temps utile, l’auteure prétend être privée de moyens de défense et plongée dans l’incertitude et l’angoisse, ce qui a de graves répercussions sur sa santé.

3.4D’après l’auteure, l’absence d’accès effectif aux tribunaux de l’État partie l’a empêchée de contester auprès d’eux le caractère abusif des clauses contractuelles et de s’opposer par exemple à la façon dont l’entité créancière avait calculé les intérêts qu’elle devait payer.

3.5L’auteure affirme que la législation qui régit les procédures de saisie hypothécaire ne protège pas suffisamment le droit des personnes de défendre véritablement leur logement devant les tribunaux. En pareil cas, les personnes concernées apprennent souvent que les créanciers ont déposé une demande de saisie hypothécaire au moment de leur éviction ou expulsion. En outre, les règles de procédure de l’État partie interdisent au juge saisi de prendre des mesures conservatoires garantissant la pleine efficacité de sa décision finale, par exemple en cas de clauses contractuelles abusives. À cet égard, se référant au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, l’auteure fait valoir que l’État partie n’a pas adopté les mesures législatives nécessaires pour assurer le plein exercice du droit au logement, consacré au paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte.

3.6Comme mesures de réparation, l’auteure prie le Comité de demander à l’État partie de revenir au stade précédant les actes de procédure concernant la saisie hypothécaire de son logement, à savoir au moment de la première notification de la demande de saisie hypothécaire afin de garantir véritablement son droit au logement et de lui permettre de défendre son droit devant les juridictions ordinaires ou alors, de lui verser 250 000 euros au titre du préjudice moral subi. Par ailleurs, elle demande que l’État partie adopte les mesures législatives nécessaires pour garantir les droits consacrés par le Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 13 octobre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. S’agissant des faits qui y sont exposés, l’État partie dit que, bien que l’auteure affirme au Comité que le logement en question constitue son domicile, dans le recours en rétractation qu’elle a formé le 10 avril 2013, elle a fait valoir que le tribunal aurait dû lui remettre la notification non seulement à l’adresse du logement hypothéqué, qu’elle avait elle-même indiquée dans les documents du prêt, mais aussi à un autre domicile familial ou, à défaut, sur son lieu de travail, dont l’entité créancière connaissait, d’après elle, les adresses.

4.2L’État partie indique que, dans l’avis de saisie hypothécaire du 21 juin 2012, le tribunal a indiqué à la débitrice qu’elle pouvait s’opposer à cette saisie en faisant valoir les motifs mentionnés à l’article 695 du Code de procédure civile. Cette procédure n’empêche pas le débiteur concerné de saisir les tribunaux ordinaires non administratifs sur des questions relatives à la défense de ses droits et intérêts. L’État partie ajoute que le Tribunal constitutionnel a conclu que la procédure de saisie hypothécaire et plus précisément les articles 695 et 698 du Code de procédure civile n’affectent pas le droit à un recours juridictionnel effectif en ce qui concerne l’égalité des parties au cours de la procédure et le droit à un logement digne et suffisant pour autant que la décision prise dans le cadre de cette procédure n’a pas force de chose jugée et que la voie de la procédure ordinaire reste ouverte.

4.3L’État partie indique que la décision du tribunal a été notifiée au domicile que l’auteure a indiqué dans les documents du prêt. Conformément aux articles 682, 683 et 686 du Code de procédure civile, le commandement de payer, acte qui enclenche la procédure de saisie hypothécaire, et les notifications sont remis au domicile volontairement indiqué par le débiteur. Ils ne sont donc pas délivrés à une adresse fixée de manière arbitraire par le créancier ou l’autorité judiciaire. Cela est indispensable au bon fonctionnement de la procédure car il serait impossible d’imposer au créancier la charge de vérifier l’adresse de domicile du débiteur.

4.4Selon l’État partie, ce n’est qu’après plusieurs tentatives infructueuses de notification à l’auteure que le tribunal a décidé de notifier la saisie hypothécaire par voie d’affichage, conformément au paragraphe 3 de l’article 686 du Code de procédure civile. Cette forme de notification est conforme aux exigences du droit à un recours juridictionnel effectif. Une fois affichée la notification de la procédure de saisie hypothécaire, conformément à l’article 691 du Code de procédure civile, il a été procédé à la mise aux enchères du bien hypothéqué par l’ordonnance du 11 février 2013, dont le mandataire de l’auteure a recueilli l’avis le 4 avril 2013, après deux tentatives infructueuses de notification à l’adresse que l’auteure avait indiquée.

4.5L’État partie indique que l’auteure a uniquement formé un recours en rétractation contre la décision du 11 février 2013 dans laquelle le tribunal ordonnait la mise aux enchères du logement hypothéqué et que cette forme de recours permet d’examiner la légalité de la décision contestée mais pas de l’annuler au motif de violation de droits fondamentaux. Il ajoute que l’auteure n’a pas introduit de demande incidente d’annulation des actes de procédure, voie à suivre pour obtenir l’annulation des actes qui risquent de porter atteinte à des droits fondamentaux. C’est pour cela que le Tribunal constitutionnel n’a pas pu, par la suite, examiner si la notification par voie d’affichage avait violé un droit fondamental et statuer sur la nullité de cet acte.

4.6L’État partie indique que, l’auteure ayant épuisé les recours internes, l’objet de la communication est la notification soi-disant indue de la procédure de saisie hypothécaire, et qu’il ne saurait porter sur d’autres questions ou circonstances relatives à cette procédure ou à la saisie hypothécaire.

4.7L’État partie indique que, au moment où il présente ses observations, aucune expulsion n’a eu lieu, que le logement hypothéqué où vit l’auteure n’a pas été saisi ni mis aux enchères, et que l’auteure a présenté au tribunal une demande de suspension de la procédure d’enchères au motif de la nullité de certaines clauses du contrat de prêt hypothécaire. Le 4 octobre 2013, le tribunal a en partie fait droit à cette demande incidente en déclarant la nullité de la sixième clause du contrat (« intérêts moratoires »).

4.8Afin de garantir la réalisation du droit consacré au paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte, l’État partie a promulgué la loi no 1/2013 du 14 mai relative aux mesures visant à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, à faciliter la restructuration de la dette et à favoriser l’accès au logement social, ainsi que le décret-loi royal no 27/2012 du 15 novembre relatif aux mesures d’urgence visant à mieux protéger les débiteurs hypothécaires. Par ailleurs, l’État partie estime que la procédure de saisie hypothécaire réglementée par le Code de procédure civile respecte strictement les exigences découlant du droit à un recours juridictionnel effectif. Il souligne en particulier qu’il incombe au débiteur d’indiquer un domicile où les décisions et actes peuvent lui être notifiés, qu’il peut le modifier en tout temps, que plusieurs tentatives de notification à personne doivent être effectuées avant qu’il ne soit procédé à titre exceptionnel, si la notification à personne est impossible, à une notification par voie d’affichage, qu’à tout moment un débiteur peut saisir une juridiction de jugement en invoquant tout point concernant la défense de ses droits et intérêts, que la procédure peut être suspendue et la nullité des clauses abusives du contrat de prêt hypothécaire demandée et que, à tout moment de la procédure, l’intéressé peut introduire une demande incidente d’annulation des actes de procédure s’il estime que le droit à un recours juridictionnel effectif a été enfreint au cours de la procédure de saisie.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partieconcernant la recevabilité et le fond

5.1Par un courrier daté du 10 décembre 2014, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle conteste les arguments selon lesquels elle possède un autre bien immobilier et ne vit pas dans la résidence en question et elle joint des documents attestant que le logement hypothéqué en question est bien son domicile habituel et le lieu où elle vit. Elle fait valoir que l’État partie a accès à différents registres publics et archives, comme le registre d’état civil, celui du fisc et les registres des habitants de chaque municipalité, mais qu’il conteste les faits sans apporter de preuve ni de justificatif. Elle ajoute que, divorcée et sans enfants, elle vit seule dans le logement hypothéqué et que, lorsqu’elle a indiqué, dans le recours qu’elle a formé, que la notification aurait pu lui être remise au domicile d’un proche, elle se référait au domicile de sa mère, dont l’entité créancière connaissait l’adresse.

5.2L’auteure souligne que sa communication pour violation du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte vient du fait qu’elle n’a pas été notifiée de la demande de saisie hypothécaire et du déclenchement de la procédure, ce qui l’a empêchée de défendre son droit au logement auprès des tribunaux.

5.3D’après l’auteure, le paragraphe 3 de l’article 686 du Code de procédure civile autorise la notification par voie d’affichage uniquement lorsqu’il a été au préalable impossible de notifier le débiteur. En outre, d’après les règles de procédure de l’État partie et la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, en règle générale, il n’est procédé à la notification par voie d’affichage que lorsque tous les autres moyens possibles de notification à personne ont été épuisés, et qu’au moins un avis de passage a été déposé dans la boîte aux lettres de l’intéressé.

5.4L’auteure souligne que le tribunal n’a pas agi de la sorte lorsqu’il lui a notifié la mise aux enchères du bien hypothéqué puisque, après deux tentatives infructueuses de notification à personne, un avis a été déposé afin qu’elle en soit informée.

5.5L’auteure fait valoir que les recours qu’elle a formés permettaient au tribunal d’examiner la violation de ses droits fondamentaux au motif de la notification par voie d’affichage et de remédier à cette situation. Elle affirme également que, conformément à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, la demande incidente d’annulation de la décision de mise aux enchères mentionnée par l’État partie ne constitue pas un recours nécessaire et adapté qu’elle devait former avant de pouvoir saisir en amparo le Tribunal constitutionnel.

5.6L’auteure estime que les références de l’État partie à la modification de son ordre juridique en vue de renforcer la protection des débiteurs hypothécaires ne sont pas pertinentes en l’espèce.

Intervention de tiers

6.1Le paragraphe 3 de l’article 8 du Protocole facultatif prévoit que, dans le cadre des règles relatives à l’examen des communications et sur autorisation préalable du Comité, des tiers peuvent fournir des documents pertinents pour l’étude d’un cas. Cette documentation doit être communiquée aux parties intéressées. Le 4 février 2015, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a autorisé l’organisation non gouvernementale (ONG) International Network for Economic, Social and Cultural Rights à communiquer des documents, conformément à l’article 8 du Protocole et au point 14 du règlement intérieur provisoire du Comité relatif au Protocole facultatif. Le 26 février 2015, le Comité a transmis la contribution de l’International Network for Economic, Social and Cultural Rights du 24 février 2015 à l’État partie et à l’auteure, en leur demandant de lui faire part de leurs observations et commentaires.

6.2L’ONG indique que, en matière de logement, l’État partie connaît une situation générale difficile et préoccupante du fait de la récession économique et du fort taux de chômage et que, entre 2008 et 2010, quelque 400 000 saisies hypothécaires ont été effectuées. Elle indique aussi que la Cour de justice de l’Union européenne a conclu que la loi espagnole offrait une protection « incomplète et insuffisante » aux détenteurs d’hypothèques, en particulier lorsque le bien hypothéqué était le domicile familial. Selon elle, les mesures législatives adoptées par l’État partie, tels le décret-loi royal no 6/2012 et la loi no 4/2013, ne permettent pas de répondre à l’urgence sociale liée aux saisies hypothécaires car le cadre juridique espagnol continue de favoriser les entités financières au détriment des intérêts des personnes touchées.

6.3L’ONG précise que, compte tenu des droits consacrés par le Pacte, une expulsion ne peut être exécutée que dans des circonstances exceptionnelles, après examen de toutes les autres possibilités notamment des autres moyens de s’acquitter de la dette, en consultation avec la ou les personne(s) concernée(s), dans le cadre d’une procédure régulière permettant notamment de former un recours effectif et octroyant un délai de préavis suffisant et raisonnable, et s’il est certain que l’expulsion ne privera pas la personne concernée de logement ou ne l’exposera pas à une violation d’autres droits de l’homme.

6.4L’État partie doit assurer la plus grande sécurité de tenure et notamment prévoir un contrôle judiciaire adapté. En ce sens, l’ONG indique qu’il est indispensable d’assurer un contrôle judiciaire de la procédure de saisie hypothécaire et que les créanciers qui souhaitent recouvrer une créance liée à des titres hypothécaires doivent démontrer à l’autorité judiciaire l’intérêt justifiant la vente du logement d’une personne, compte tenu de toutes les circonstances de chaque cas. L’organe judiciaire doit examiner non seulement la légalité de l’expulsion au regard du droit interne mais également les arguments de fond concernant la proportionnalité et la nécessité de la mesure.

6.5D’après l’ONG, l’État partie doit fournir un préavis suffisant et raisonnable à l’intéressé avant la date d’expulsion prévue. S’agissant de la notification des citations, les tribunaux sud-africains ont reconnu que, lorsque les débiteurs ne s’opposaient pas à des procédures de saisie ou qu’ils négociaient au sujet d’éléments concernant la notification avant l’introduction de l’instance, il convenait de garantir strictement le contrôle judiciaire, et en particulier de s’assurer que la notification de citation avait été dûment effectuée.

Commentaires de l’auteure sur l’intervention de tiers

7.Par un courrier daté du 12 mars 2015, l’auteure a présenté au Comité ses commentaires sur l’intervention de tiers. Elle maintient que le droit de recevoir une notification avant une expulsion fait partie des garanties judiciaires qui doivent être respectées. Elle réitère que son droit à un recours juridictionnel n’a pas été respecté et que, par conséquent, elle n’a pas pu prendre part à la procédure et défendre comme il convenait son droit au logement auprès des tribunaux en l’absence de notification de la demande de saisie hypothécaire déposée par l’entité créancière et du déclenchement de la procédure par le tribunal.

Observations de l’État partie sur l’intervention de tiers

8.1Le 19 mars 2015, l’État partie a présenté ses observations sur l’intervention de l’ONG. Il maintient que l’auteure a eu accès à tous les recours et qu’elle a bénéficié de toutes les garanties de procédure.

8.2L’État partie affirme que la loi no 1/2013 et le décret-loi royal no 27/2012 visant à protéger les débiteurs hypothécaires contiennent un extraordinaire système de protection qui permet entre autres à l’ancien propriétaire de rester, après l’expulsion, dans son logement pendant deux ans en tant que locataire, et d’obtenir des allocations de logement. De même, il réaffirme que la procédure de saisie hypothécaire régie par le Code de procédure civile respecte scrupuleusement les exigences découlant du droit à un recours juridictionnel effectif.

8.3L’État partie souligne que l’auteure a toujours la jouissance de son logement et que ses droits ne sont pas violés. Par ailleurs, par décision du tribunal du 25 avril 2013, la procédure de saisie hypothécaire a été suspendue afin d’étudier l’éventuel caractère abusif de la clause du contrat de prêt hypothécaire qui fixe les intérêts moratoires, ainsi que le taux de l’intérêt légal.

8.4L’État partie affirme que les notifications relatives à la procédure de saisie hypothécaire ont été réalisées au domicile indiqué par l’auteure, qu’il a été tenté à plusieurs reprises de lui remettre la notification, que, sur l’acte de notification du 28 septembre 2012, la factrice a indiqué qu’« après avoir vérifié que le nom de la débitrice figurait sur la boîte aux lettres, elle était entrée dans l’immeuble, avait sonné à la porte de l’appartement mais n’avait pas obtenu de réponse. Le concierge affirme qu’il travaille ici depuis peu mais que l’intéressée vit bien à cette adresse » et que, par conséquent, on doit en déduire que l’auteure a volontairement refusé de recevoir les notifications concernant la procédure de saisie hypothécaire.

B.Délibérations du Comité sur la recevabilité et sur le fond

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 9 de son règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable. Le Comité n’examinera que les communications répondant aux critères de recevabilité établis dans le Protocole facultatif.

9.2À la lumière des documents mis à sa disposition par les parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 8 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’a pas déjà fait l’objet ni fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement au niveau international. Par conséquent, le Comité estime qu’il n’existe aucun obstacle à la recevabilité de la présente communication, conformément au paragraphe 2 c) de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.3En vertu du paragraphe 2 b) de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité ne peut examiner les violations présumées du Pacte qui portent sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État Partie intéressé, à moins que ces faits ne persistent après cette date. En l’espèce, le Comité constate qu’une partie des faits ayant donné lieu aux violations alléguées par l’auteure s’est produite avant le 5 mai 2013, date à laquelle le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie. Cependant, la décision du Tribunal constitutionnel qui a rejeté le recours en amparo de l’auteure a été rendue le 16 octobre 2013. À cette occasion le Tribunal constitutionnel aurait pu examiner les allégations de violation des droits fondamentaux de l’auteure en lien avec la présente communication, étant donné que l’objet de ce recours n’était pas l’examen d’aspects purement formels ou d’erreurs de droit mais bien l’éventuelle violation de droits fondamentaux de l’auteure en lien avec la plainte faisant l’objet de la présente communication. Par conséquent, c’est à cette date-là que se serait produite l’éventuelle violation du droit de l’auteure. De ce fait, le Comité estime qu’il est compétent ratione temporis pour examiner la présente communication.

9.4.Le Comité constate que l’État partie n’a présenté aucune objection quant à l’épuisement des recours internes mentionné au paragraphe 1 de l’article 3 du Protocole facultatif. Bien que l’État partie ait indiqué au Comité que, par la suite, l’auteure avait déposé une requête au tribunal, conformément au paragraphe 3 de l’article 695 du Code de procédure civile, qui a permis de suspendre la saisie hypothécaire tandis qu’était analysée la nature éventuellement abusive d’une clause du contrat de prêt, il n’a en revanche jamais demandé que la communication soit déclarée irrecevable au motif d’un éventuel épuisement des recours internes.

9.5Le Comité considère que si un État partie souhaite faire valoir ce motif d’irrecevabilité, il doit le faire dès le début, de manière claire et en indiquant précisément les recours − suffisants et effectifs − qui auraient dû être épuisés, ce qui n’est pas le cas ici. Le Comité comprend donc que, en ce qui concerne les allégations de l’auteure, les recours prévus par la juridiction interne ont été épuisés après la décision du Tribunal constitutionnel du 5 mai 2013.

9.6L’auteure a présenté la communication au Comité le 28 janvier 2014, dans les délais prévus au paragraphe 2 a) de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.7Le Comité considère que la communication remplit les critères de recevabilité énoncés à l’article 3, en particulier au paragraphe 2 e), du Protocole facultatif. Il s’agit d’une communication qui pose la question d’une éventuelle violation du droit de l’auteure à un logement, du fait d’une notification de la procédure de saisie hypothécaire qui n’aurait pas été correctement réalisée, ce qui l’aurait empêchée de se défendre comme il convenait. Le Comité estime que la communication est suffisamment étayée pour être examinée quant au fond.

Examen au fond

Faits et points de droit

10.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toute la documentation qui lui a été soumise, conformément à l’article 8 du Protocole facultatif.

10.2L’auteure fait valoir que, suite au non-paiement de plusieurs échéances de remboursement de l’emprunt hypothécaire contracté sur son logement habituel, en 2012, l’entité créancière a engagé une procédure de saisie hypothécaire à son encontre dont elle n’a pas été dûment notifiée. Elle n’a donc pris connaissance de cette procédure qu’une fois la mise aux enchères de son logement ordonnée. De ce fait, elle estime que, dans la pratique, elle n’a pas pu exercer un recours juridictionnel effectif en temps utile, ce qui l’a empêchée de donner juridiquement suite à la demande de saisie hypothécaire et de faire valoir son droit au logement devant les tribunaux, et qui l’a jusqu’à présent privée de moyens de défense et plongée dans l’incertitude et l’angoisse.

10.3L’État partie fait valoir que l’auteure, dans son recours en rétractation, a mentionné un autre domicile familial, laissant entendre que le logement en question ne serait pas son logement habituel, que le tribunal a procédé à la notification du déclenchement de la procédure de saisie hypothécaire conformément à la loi au domicile indiqué par l’auteure dans les documents du prêt, que ce n’est qu’après plusieurs tentatives infructueuses de notification à personne que le tribunal a ordonné la notification par voie d’affichage, conformément au paragraphe 3 de l’article 686 du Code de procédure civile et que ce mode de notification est conforme aux exigences du droit à un recours juridictionnel effectif. En outre, l’État partie soutient que, lors des formalités de notification du 28 septembre 2012, l’auteure a volontairement refusé de recevoir la notification de la demande de saisie hypothécaire et de déclenchement de la procédure par le tribunal (voir par. 8.4 supra). Enfin, l’État partie a indiqué au Comité qu’il n’avait été procédé à aucune expulsion, saisie ou mise aux enchères du logement hypothéqué puisque l’auteure avait présenté un recours ordinaire suspensif, qu’elle vivait donc toujours dans le logement en question et que ses droits n’avaient pas été violés.

10.4S’agissant de la nature du logement hypothéqué objet de la présente communication, le Comité prend note des explications de l’auteure selon lesquelles lorsqu’elle a fait mention d’un autre logement familial durant la procédure de saisie hypothécaire, elle se référait au logement d’un membre de sa famille (voir par. 5.1), elle vit dans le logement en question et elle n’est propriétaire d’aucun autre logement. Les pièces fournies par l’auteure (voit note de bas de page 7, supra), qui n’ont pas été contestées par l’État partie, corrobore ses allégations. Aucune pièce fournie au Comité n’indique que le logement en question n’était pas le domicile habituel de l’auteure ou qu’elle était propriétaire d’un autre logement. Par conséquent, à la lumière des pièces du dossier et des renseignements communiqués par les parties, le Comité estime qu’il s’agit bien du logement habituel de l’auteure.

10.5En ce qui concerne l’absence de l’auteure le 28 septembre 2012, date de la notification de la demande de l’entité créancière et de l’avis de déclenchement de la procédure de saisie du tribunal, le Comité observe que ni la copie de l’avis de passage du Service commun des notifications et des saisies de Madrid en date du 28 septembre 2012, fournie par l’auteure, ni aucun autre document n’indique que l’auteur était présente à son logement habituel et qu’elle a refusé de recevoir la notification du tribunal (voir par. 2.4, et notes de bas de page 3 et 18 supra).

10.6Le Comité ayant examiné les faits de l’espèce, il est d’avis que le problème juridique fondamental posé par la présente communication est de savoir si le droit au logement de l’auteure, défini au paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte, a été violé par l’État partie à l’issue d’une procédure de saisie dans laquelle l’auteure, selon ses dires, n’a pas été notifiée de la demande, ce qui l’a empêché de défendre les droits qu’elle tient du Pacte. Pour répondre à cette question, le Comité commencera par rappeler certains éléments du droit au logement, en particulier ceux qui concernent la protection juridique de ce droit, avant d’examiner les faits.

Le droit au logement et sa protection légale

11.1Le droit de l’homme à un logement suffisant est d’une importance capitale pour la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels et est intégralement lié à d’autres droits de l’homme, y compris ceux énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le droit au logement devrait être assuré à tous sans distinction de revenus ou de toutes autres ressources économiques et les États parties devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour en garantir la pleine réalisation. Un grand nombre d’éléments constitutifs du droit à un logement suffisant sont étroitement liés à l’existence de recours internes assurant la jouissance effective de ce droit.

11.2Le Comité rappelle également que chaque personne a droit à un certain degré de sécurité qui garantit la protection légale contre l’expulsion, le harcèlement ou autres menaces et que les évictions forcées sont prima facie contraires aux dispositions du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et ne peuvent être justifiées que dans les situations les plus exceptionnelles et conformément aux principes applicables du droit international.. De l’avis du Comité, les États parties doivent veiller à ce que les procédures appliquées dans les cas d’expulsion forcée ou les procédures pouvant toucher la sécurité de tenure et éventuellement aboutir à une expulsion respectent les garanties en la matière, notamment la possibilité de consulter véritablement les intéressés et un délai de préavis suffisant et raisonnable à toutes les personnes visées par une expulsion avant la date d’expulsion prévue.

11.3Le Comité rappelle en outre que l’article 2 du Pacte définit plusieurs obligations à effet immédiat. Par conséquent, conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, les États parties doivent adopter des mesures visant à assurer l’exercice des droits reconnus dans le Pacte « par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives ». Cela comprend notamment l’adoption de mesures qui garantissent l’accès à des recours judiciaires effectifs pour la protection des droits reconnus par le Pacte étant donné que, comme le Comité l’a noté dans son observation générale no 9, il ne peut y avoir de droit sans moyen de recours permettant de le protéger.

11.4 Par conséquent, en vertu de l’obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, les États parties doivent garantir que les personnes dont le droit à un logement suffisant pourrait être touché, par exemple, par des expulsions forcées ou des saisies hypothécaires, disposent d’un recours effectif et adéquat.

Notification appropriée dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire qui peut avoir des incidences sur le droit au logement

12.1Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 7, la protection appropriée en matière de procédure et le respect de la légalité sont des aspects essentiels de tous les droits de l’homme mais qui sont particulièrement importants s’agissant d’une question comme celle des expulsions forcées, et que ces garanties de procédure sont notamment le fait pour l’État partie de prévoir un délai de préavis suffisant et raisonnable à toutes les personnes concernées avant la date d’expulsion prévue et de fournir à ces personnes un accès aux recours prévus par la loi afin qu’elles puissent se défendre. Le Comité estime que cette protection est également valable et appropriée dans des situations analogues, comme les procédures de saisie hypothécaire dans lesquelles le droit au logement peut être gravement altéré.

12.2Le Comité estime que, pour s’acquitter des obligations évoquées plus haut, les autorités doivent prendre toutes les mesures et initiatives raisonnables pour veiller à ce que les formalités de notification des décisions et actes liés à une procédure administrative ou judiciaire soient dûment et efficacement effectuées afin que les personnes concernées puissent prendre part à la procédure et défendre leurs droits.

12.3La notification par voie d’affichage peut constituer un moyen approprié de notification d’une décision de justice conforme au droit à un recours effectif; le Comité estime toutefois que son utilisation dans des cas susceptibles de donner lieu à une possible violation des droits de l'homme tel le droit à un logement convenable, cas devant faire l’objet d’un contrôle judiciaire, doit être une mesure de dernier recours, surtout en ce qui concerne les décisions qui aboutissent au déclenchement de la procédure. Son utilisation doit être strictement limitée où tous les moyens de notification à personne ont été épuisés, en garantissant une publicité et un préavis suffisants afin que la personne concernée puisse prendre réellement connaissance du déclenchement de la procédure et comparaître en personne.

12.4Par conséquent, une notification indue d’une demande de saisie hypothécaire empêche l’intéressé de défendre son droit au cours de la procédure et entraîne une violation du droit au logement. Le Comité procède donc à l’analyse de la notification du cas à l’examen afin de déterminer si elle a été réalisée dans des conditions acceptables ou non.

Analyse de l’affaire

13.1Lorsque le Comité examine une communication, il ne lui incombe pas de vérifier si les procédures judiciaires et administratives internes ont été menées dans le respect du droit interne. Sa tâche se limite à examiner si les faits établis de la communication constituent une violation par l’État partie des droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans le Pacte. Le Comité estime donc qu’il appartient en premier lieu aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation, ou cette application, a été clairement arbitraire ou a constitué un déni de justice, ce qui impliquerait la violation d’un droit reconnu dans le Pacte.

13.2D’après les pièces de procédure, le 21 juin 2012, le tribunal a autorisé la procédure de saisie hypothécaire du logement de l’auteure. Celle-ci n’a cependant pris connaissance de cette procédure que le 4 avril 2013 lorsqu’elle a retiré l’avis de mise aux enchères de son logement et n’a donc pas pu se défendre pendant la procédure de saisie. En septembre et en octobre 2012, il a été procédé à quatre reprises à la notification de la décision du tribunal autorisant la procédure, sans succès, puisque l’auteure ne se trouvait pas chez elle, à l’adresse qu’elle-même avait communiquée en tant que domicile. L’agent notificateur a confirmé qu’il y avait une boîte aux lettres à son nom dans cet immeuble et que, à deux reprises au moins, le concierge de l’immeuble était présent, faits qui ont été consignés dans les actes du Service commun des notifications et des saisies de Madrid (voir note de bas de page 3 supra) et qui, par conséquent, étaient ou devaient être connus du tribunal. Le 30 octobre 2012, le tribunal a décidé qu’un avis serait apposé sur le panneau d’affichage des annonces légales du tribunal aux fins de notification, notification dont l’auteure n’a pas eu connaissance en temps utile.

13.3Dans le cas présent, le Comité prend note des efforts répétés du tribunal pour notifier directement à l’auteure l’avis de saisie et le déclenchement de la procédure. Il estime néanmoins que l’État partie n’a pas démontré que le tribunal avait épuisé tous les moyens disponibles pour procéder à une notification à personne, par exemple en expliquant pourquoi aucune note ni avis n’avait été laissé dans la boîte aux lettres ou pourquoi aucun autre moyen de notification prévu par le Code de procédure civile, comme le fait de confier l’avis au concierge ou au voisin présent le plus proche, n’avait été employé, puisqu’il se contente d’indiquer qu’après plusieurs tentatives infructueuses, il avait été décidé de procéder à une notification par voie d’affichage, comme la loi le prévoit. L’État partie n’a apporté aucun élément solide étayant son affirmation selon laquelle l’auteure se serait même cachée une fois pour ne pas recevoir la notification. Par conséquent, le Comité considère que, même si l’on estimait que la notification par voie d’affichage avait été réalisée conformément au Code de procédure civile, cette notification de la demande de saisie hypothécaire doit être appropriée et conforme aux normes du Pacte applicables au droit au logement, comme indiqué aux paragraphes 11.1 et 12.4 plus haut, ces normes n’ayant pas été respectées en l’espèce. La notification n’a donc pas été réalisée dans des conditions acceptables.

13.4Cette grave irrégularité quant à la notification pourrait ne pas entraîner de violation du droit au logement si elle n’avait pas de conséquences majeures sur le droit de l’auteure de défendre la jouissance effective de son logement, par exemple au moyen d’une autre procédure adaptée pour faire valoir son droit et ses intérêts. Cela semble être la position de l’État partie lorsqu’il laisse entendre, sans étayer ce point de vue, que l’incapacité de l’auteure de se manifester dans le cadre de la procédure de saisie n’a pas de conséquences graves puisque, quoi qu’il en soit, les possibilités de défense du débiteur dans ces procédures sont juridiquement très limitées alors qu’il peut saisir une juridiction ordinaire pour contester, sans limitations, le remboursement du prêt hypothécaire. Il rappelle que l’auteure a introduit un recours en vertu du paragraphe 3 de l’article 695 du Code de procédure civile demandant l’annulation de certaines clauses du contrat de prêt hypothécaire, recours qui a eu un effet suspensif sur la saisie et la vente aux enchères de son logement puisque, suite à un récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ces recours ordinaires permettent même de suspendre la saisie et la vente aux enchères du bien hypothéqué.

13.5Du fait de la spécificité du problème de la notification indue posé par l’auteure, il n’incombe pas au Comité, dans le cadre de la présente communication, d’examiner de manière générale si les normes internes de l’État partie régissant les procédures de saisie et, en fin de compte, de vente aux enchères des biens hypothéqués, qui peuvent être des logements, respectent ou non le droit au logement. Par conséquent, dans le cas d’espèce, le Comité se borne à examiner si la notification indue de l’auteure, qui a déjà été constatée, a vraiment eu ou non des incidences sur le droit de l’auteure de se défendre au point d’impliquer une violation du droit au logement.

13.6D’après le Code de procédure civile en vigueur au moment des faits, dans une procédure de saisie, le débiteur ne peut s’opposer à la mise aux enchères que pour certains motifs très circonscrits, par exemple l’extinction de la garantie hypothécaire ou de l’obligation. Au cours de cette procédure, il ne peut contester, par exemple, des clauses abusives. En revanche, la procédure ordinaire permet au débiteur de contester de manière large et ouverte les conditions du crédit. On pourrait donc avancer que la non-comparution au cours de la procédure de saisie n’est pas particulièrement grave puisque le débiteur disposerait dans tous les cas de la procédure ordinaire pour défendre ses droits. Cependant, pour étayer cette thèse, il faudrait que la procédure ordinaire permette de suspendre la procédure de saisie et la vente aux enchères du logement car, dans le cas contraire, la défense ne suffirait pas à garantir le droit au logement puisque l’intéressé ne pourrait pas empêcher la vente aux enchères de son logement mais uniquement obtenir ultérieurement une indemnisation ou la restitution du bien, le cas échéant. Le Comité constate que la notification indue de l’auteure s’est produite le 30 octobre 2012, lorsque le tribunal a affiché l’avis correspondant. La décision de la Cour de justice de l’Union européenne mentionnée par l’État partie est probablement l’arrêt C-415/11 dans l’affaire Mohamed Aziz c. Catalunya Caixa, rendu le 14 mars 2013, plusieurs mois après cette notification indue. Cependant, comme l’indique cet arrêt de la Cour, il est évident que, jusqu’à ce moment-là, les procédures déclaratives ordinaires ne permettaient pas de suspendre la procédure de saisie hypothécaire. L’auteure a donc été privée de la possibilité de se défendre durant la procédure de saisie pour éviter, en fin de compte, la vente aux enchères sans que, lorsque cette notification indue s’est produite, la procédure ordinaire puisse être considérée comme une éventuelle alternative adaptée puisqu’elle ne permettait pas de suspendre la procédure de saisie.

13.7Par conséquent, le Comité estime que cette notification indue a constitué à ce moment-là une violation du droit au logement à laquelle l’État partie n’a pas remédié par la suite puisque l’auteure n’a pas obtenu gain de cause suite au recours en rétractation contre la décision de mise aux enchères et au recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel qu’elle a formés.

C.Conclusion et recommandations

14.Compte tenu de tous les renseignements fournis, le Comité estime que les faits dont il est saisi révèlent que le tribunal n'a pas pris toutes les mesures raisonnables pour notifier correctement à l’auteure la demande de saisie hypothécaire présentée par l’entité créancière (voir par. 13.3 supra) afin de s’assurer que l'auteure était bien informée du déclenchement de la procédure; et, par conséquent, que le tribunal a empêché l'auteure de défendre dans de bonnes conditions son droit au logement devant un tribunal.

15.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif, constate qu’en manquant à son obligation de fournir à l’auteure un recours effectif, l’État partie a violé les droits que celle-ci tient du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. À la lumière des présentes constatations, le Comité adresse les recommandations ci-après à l’État partie.

Recommandations concernant l’auteure

16.L’État partie est tenu d’assurer à l’auteure une réparation utile, en particulier : a) de veiller à ce que la mise aux enchères de son logement ne se fasse pas sans qu’elle bénéficie de la protection appropriée en matière de procédure et d’une procédure respectant la légalité, conformément aux dispositions du Pacte et compte tenu des observations générales nos 4 et 7 du Comité; et b) de rembourser à l’auteure les frais de justice liés à la présente communication.

Recommandations à caractère générale

17.Le Comité considère que, en principe, les réparations recommandées dans le contexte de communications individuelles peuvent inclure des garanties de non‑répétition et rappelle que l'État partie est tenu d’empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. Prenant note des mesures prises par l'État partie, y compris le décret-loi royal no 27/2012 et la loi no 1/2013, comme suite à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 mars 2013, le Comité estime que l'État partie doit s’assurer que sa législation et sa mise en œuvre sont conformes aux obligations définies dans le Pacte. En particulier, l’État est tenu :

a)D’assurer l’accès aux recours juridiques aux personnes concernées par des procédures de saisie hypothécaire pour non-remboursement d’emprunt;

b)D’adopter des mesures législatives et/ou administratives appropriées afin de veiller à ce que, dans les procédures de saisie hypothécaire, la notification par voie d’affichage soit strictement limitée aux cas où tous les moyens possibles de remettre une notification à personne ont été utilisés, en garantissant une publicité et un préavis suffisants afin que la personne concernée puisse prendre dûment connaissance du déclenchement de la procédure et comparaître en personne;

c)D’adopter des mesures législatives appropriées pour garantir que la procédure de saisie hypothécaire et les règles de procédure établissent des conditions (voir par. 12.1 à 12.4, 13.3 et 13.4 supra) et procédures appropriées à suivre avant qu’il ne soit procédé à la mise aux enchères d’un logement ou à une expulsion, conformément au Pacte et compte tenu de l’observation générale no 7 du Comité.

18.Conformément au paragraphe 2 de l’article 9 du Protocole facultatif et du paragraphe 1 de l’article 18 du règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, l’État partie doit adresser au Comité, dans un délai de six mois, des renseignements écrits sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations et recommandations du Comité. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement, sur des supports accessibles, afin que tous les groupes de la population en prennent connaissance.