NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.GÉNÉRALE

E/C.12/LYB/CO/225 janvier 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELSTrente-cinquième session7‑25 novembre 2005

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

JAMAHIRIYA ARABE LIBYENNE

Observations finales du Comité des droits

économiques, sociaux et culturels

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne sur l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/1990/6/Add.38) à ses 44e, 45e et 46e séances, tenues les 16 et 17 novembre 2005 (E/C.12/2005/SR.44 à 46), et a adopté, à sa 58e séance, tenue le 25 novembre 2005, les observations finales ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie de la présentation de son deuxième rapport périodique. Il regrette toutefois que le rapport, les réponses écrites à la liste des points à traiter et les réponses orales fournies par la délégation ne contiennent pas d’informations suffisantes et précises sur des questions fondamentales relatives au Pacte. Beaucoup de questions posées par le Comité sont restées sans réponse.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite que l’État partie ait adhéré à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a accueilli une mission d’assistance technique de l’Organisation internationale du Travail en juillet 2005 dans le but de l’aider à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de plusieurs conventions de l’OIT relatives à la sécurité sociale.

5.Le Comité constate avec satisfaction que selon la délégation, les femmes peuvent désormais se rendre à l’étranger librement.

6.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a les taux d’alphabétisation et de scolarisation les plus élevés d’Afrique du Nord et se félicite de la forte proportion d’élèves de sexe féminin.

C. Facteurs et difficultés entravant l’application du Pacte

7.Le Comité note l’absence de tous facteurs ou difficultés substantiels entravant l’application effective du Pacte dans l’État partie.

D. Principaux sujets de préoccupation

8.Le Comité regrette que ses observations finales précédentes n’aient pas été prises en considération par l’État partie.

9.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas pu fournir d’exemples de jurisprudence relative à l’application du Pacte, alors que les instruments internationaux ratifiés par l’État partie deviennent juridiquement contraignants et priment le droit interne.

10.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a toujours pas créé d’institution nationale des droits de l’homme indépendante conformément aux Principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale, annexe).

11.Le Comité note avec préoccupation que les organisations non gouvernementales indépendantes traitant de questions relevant du Pacte n’exercent pas leurs activités librement dans l’État partie.

12.Le Comité s’inquiète de l’absence de mesures législatives visant à interdire la discrimination raciale et regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations suffisantes sur les mesures adoptées pour que les travailleurs migrants étrangers soient traités sans discrimination, notamment en matière d’emploi, de logement, de services de santé et d’éducation. Il note avec préoccupation les nombreuses allégations de préjugés raciaux à l’égard des Africains noirs, qui ont parfois entraîné la commission d’actes de violence contre eux.

13.Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas adopté de loi en matière de demande d’asile et de réfugiés, et par le fait qu’en l’absence d’un cadre de protection juridique, la garantie effective des droits des réfugiés et demandeurs d’asile, en particulier leurs droits économiques, sociaux et culturels, risque d’être gravement compromise.

14.Le Comité regrette qu’aucune information spécifique n’ait été fournie sur les comportements traditionnels ayant une incidence sur l’exercice par les femmes de leurs droits économiques, sociaux et culturels.

15.Le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations suffisantes sur le taux de chômage dans l’État partie, le montant et la procédure de détermination du salaire minimum, ainsi que sur les procédures établies pour aider les chômeurs, notamment les nationaux et les travailleurs migrants, à trouver un emploi.

16.Le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations précises sur les lois applicables au droit de chacun de créer des syndicats et de s’y affilier et aux autres droits énoncés à l’article 8 du Pacte, en particulier le droit de grève. Il note avec préoccupation que le Gouvernement doit approuver toutes les conventions collectives pour vérifier leur conformité avec les intérêts économiques de la nation, que les syndicats ne sont pas libres dans l’État partie et que les conflits du travail doivent être renvoyés à une procédure d’arbitrage obligatoire.

17.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations suffisantes sur la pauvreté et la situation du logement, notamment les travailleurs migrants, les sans-abri et les expulsions de force.

18.Le Comité note avec préoccupation les informations selon lesquelles 28 % de la population n’ont pas d’accès durable à une source d’eau salubre. Il s’inquiète aussi de ce que les améliorations apportées dans le nord du pays en matière d’accès à l’eau salubre n’aient pas bénéficié à la population amazigh, en particulier dans les régions de Nefoussa et Zouara.

19.Le Comité est profondément préoccupé par les informations selon lesquelles le nombre de cas de VIH/sida aurait fortement augmenté depuis 2000 et, selon les estimations, 90 % des infections récentes d’adultes résulteraient de l’usage de drogues par injection.

20.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations suffisantes sur les mesures adoptées pour introduire l’enseignement des droits de l’homme dans les programmes scolaires, dans les cycles primaire et secondaire, et pour vulgariser le texte du Pacte.

21.Le Comité note avec préoccupation que la liberté d’accès à l’Internet serait fortement restreinte dans l’État partie.

22.Le Comité note avec préoccupation que la population amazigh n’est pas reconnue en tant que minorité dans l’État partie et que la langue amazigh ne jouit d’aucune reconnaissance ni d’aucun statut juridique, alors que selon certaines informations, les Amazighs représentent un fort pourcentage de la population.

23.Le Comité s’inquiète de ce que l’enseignement de la langue amazigh soit interdit à l’école, de même que l’usage de cette langue en public, notamment dans les médias et dans les démarches administratives. En outre, les associations et institutions culturelles amazighs ne seraient pas autorisées à exercer librement leurs activités dans le pays.

24.Le Comité se déclare profondément préoccupé par la loi interdisant l’usage d’autres langues que l’arabe dans de nombreux domaines, ainsi que l’enregistrement de noms autres qu’arabes pour les nouveau-nés.

E. Suggestions et recommandations

25.Le Comité recommande à l’État partie de tenir pleinement compte de ses précédentes observations finales.

26.Le Comité invite l’État partie à faire figurer des informations concernant la jurisprudence de l’application du Pacte dans son prochain rapport. Il lui recommande de redoubler d’efforts pour améliorer les programmes de formation relatifs aux droits de l’homme et au Pacte, en particulier au sein du corps judiciaire et parmi les autres acteurs chargés de la mise en œuvre du Pacte.

27.Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de créer une institution nationale des droits de l’homme indépendante, conformément aux Principes de Paris, dont le mandat couvrirait tous les droits de l’homme, y compris les droits économiques, sociaux et culturels.

28.Le Comité recommande vivement à l’État partie de veiller à ce que les organisations non gouvernementales indépendantes qui défendent les droits de l’homme, notamment les droits reconnus par le Pacte, exercent librement leurs activités dans le pays, conformément à la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.

29.Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures d’ordre législatif et autre visant à interdire la discrimination raciale, en particulier à l’égard des Africains noirs. Il demande à l’État partie de présenter dans son prochain rapport des données annuelles comparatives actualisées, ventilées par sexe, nationalité, origine nationale et ethnique et zone urbaine/rurale dans les domaines visés par toutes les dispositions du Pacte, en prêtant une attention particulière aux personnes et aux groupes défavorisés et marginalisés.

30.Le Comité engage l’État partie à envisager de ratifier la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967. Il lui recommande également d’adopter une loi instituant des procédures d’asile nationales et protégeant les droits économiques, sociaux et culturels des réfugiés et demandeurs d’asile.

31.Le Comité recommande à l’État partie de lui fournir des informations détaillées sur les comportements traditionnels ayant une incidence sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels par les femmes, et sur les mesures adoptées pour surmonter ces obstacles. À cet égard, l’attention de l’État partie est appelée sur l’Observation générale no 16 (2005) du Comité relative à l’article 3 et sur l’obligation qu’ont les États parties de prendre des mesures visant directement à éliminer les préjugés, les pratiques coutumières et toutes les autres pratiques qui perpétuent la notion d’infériorité ou de supériorité de l’un ou l’autre sexe et les rôles stéréotypés des hommes et des femmes. Le Comité recommande vivement à l’État partie d’entreprendre une étude approfondie de la violence intrafamiliale dans le pays et de présenter des informations sur cette question dans son prochain rapport.

32.Le Comité recommande à l’État partie de présenter dans son prochain rapport des informations détaillées, ventilées par sexe, âge, nationalité, origine nationale et ethnique, sur le taux de chômage dans le pays. L’État partie devrait également présenter des informations détaillées sur le montant et la procédure de détermination du salaire minimum, ainsi que sur les procédures destinées à aider les chômeurs à trouver un emploi et à élargir les possibilités d’emploi, en ce qui concerne les nationaux et les travailleurs migrants.

33.Le Comité recommande à l’État partie de préciser l’état de ses lois régissant le droit qu’a toute personne de former avec d’autres des syndicats et de s’affilier à un syndicat, ainsi que sur les autres droits énoncés à l’article 8 du Pacte, et de veiller à ce qu’elles soient pleinement conformes à cet article. Il demande à l’État partie de lui présenter dans son prochain rapport des renseignements détaillés sur cette question, notamment le texte des lois pertinentes.

34.Le Comité recommande à l’État partie de fournir dans son prochain rapport des informations détaillées sur l’ampleur de la pauvreté dans le pays, la situation du logement, en particulier des travailleurs migrants, et les expulsions de force.

35.Le Comité recommande à l’État partie, conformément à l’Observation générale no 15 (2002) sur le droit à l’eau, d’intensifier l’action qu’il mène pour garantir le droit de chacun à un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, en eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques dechacun, sans discrimination. Il lui recommande de prendre des mesures pour réaliser le droit de la population amazigh à l’accès à une eau salubre dans les régions de Nefoussa et Zouara et de lui rendre compte de cette question dans son prochain rapport.

36.Le Comité, conformément à son Observation générale no 14 (2000) sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, encourage l’État partie à prendre d’urgence des mesures pour arrêter la propagation du VIH/sida, notamment au moyen de l’éducation sexuelle dans les écoles et de campagnes de sensibilisation. L’État partie devrait présenter des informations détaillées sur sa politique relative aux certificats attestant qu’une personne n’est pas atteinte du VIH/sida.

37.Le Comité recommande à l’État partie de présenter dans son prochain rapport des données statistiques détaillées sur la mise en œuvre du droit à l’éducation pour tous, ventilées par sexe, nationalité, origine nationale et ethnique, ainsi que par zones urbaines/rurales.

38.L’État partie devrait adopter des mesures concrètes pour que l’éducation en matière de droits de l’homme fasse partie des cursus à tous les degrés d’enseignement et que des informations sur les droits de l’homme soient effectivement diffusées dans la population.

39.Le Comité prie instamment l’État partie de respecter et de protéger la liberté d’information et d’expression dans l’État partie, notamment sur l’Internet, afin de permettre à toutes les personnes placées sous sa juridiction de prendre part à la vie culturelle et de jouir des retombées bénéfiques du progrès scientifique et de ses applications.

40.L’État partie devrait fournir au Comité des renseignements détaillés sur la composition ethnique, linguistique et religieuse de la population. Le Comité recommande à l’État partie de reconnaître l’existence de la minorité amazigh et d’envisager d’accorder un statut juridique à la langue amazigh afin de garantir la mise en œuvre des droits reconnus à l’article 15 du Pacte.

41.Les associations et institutions amazighs devraient être autorisées à exercer leurs activités librement. Le Comité recommande en outre à l’État partie, étant donné le nombre élevé de personnes qui appartiendraient à la communauté amazigh, d’envisager d’adopter des mesures visant à garantir que les Amazighs aient suffisamment de possibilités d’apprendre leur langue maternelle ou de suivre un enseignement dans leur langue maternelle, que leur accès aux médias soit facilité et qu’ils se voient octroyer le droit d’utiliser leur langue dans leurs relations avec l’administration.

42.Le Comité recommande vivement à l’État partie d’abolir la loi no 24 de 1991 ainsi que le Comité de rectification des noms. L’État partie devrait veiller au plein respect du droit de toute personne à utiliser sa propre langue, en privé et en public, oralement et par écrit, librement et sans ingérence ni aucune forme de discrimination. Il devrait, en particulier, reconnaître le droit de toute personne d’utiliser son nom de famille et ses prénoms dans sa propre langue.

43.Le Comité recommande à l’État partie de créer des conditions susceptibles de permettre à tous les groupes, y compris les minorités nationales et les groupes ethniques, d’exprimer et de développer leur culture, leur langue, leurs traditions et leurs coutumes. L’État partie devrait également prendre des mesures dans le domaine de l’éducation et de l’information, pour encourager la connaissance de l’histoire, des traditions, de la langue et de la culture des divers groupes, y compris la communauté amazigh, présents sur son territoire.

44.Le Comité demande à l’État partie de présenter dans son troisième rapport périodique des informations détaillées sur toute mesure prise et sur tout progrès réalisé, notamment en ce qui concerne les suggestions et recommandations qu’il fait dans les présentes observations finales.

45.Le Comité demande à l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales à tous les niveaux de la société et, en particulier, parmi les membres de l’appareil judiciaire et les responsables de l’application des lois. Il l’encourage également à associer des organisations non gouvernementales et d’autres membres de la société civile au processus de discussion au niveau national avant la présentation du prochain rapport.

46.Le Comité demande à l’État partie de présenter son troisième rapport périodique au plus tard le 30 juin 2007.

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