Nations Unies

E/C.12/2020/1

Conseil économique et social

Distr. générale

17 avril 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Déclaration sur la pandémie à coronavirus (COVID-19) et les droits économiques, sociaux et culturels

Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels *

I.Introduction

1.La pandémie de COVID-19 menace de submerger les systèmes de santé publique et a des effets dévastateurs, partout à travers le monde, dans toutes les sphères de la vie − économie, sécurité sociale, éducation et production alimentaire. Des dizaines de milliers de vies ont déjà été perdues, y compris celles de médecins, d’infirmières et d’infirmiers qui dispensaient des soins médicaux de première ligne. Des emplois ont été perdus et des moyens de subsistance mis en péril en raison des restrictions imposées − comme les confinements − pour freiner la transmission du virus. Les écoles sont fermées dans de nombreux pays touchés, et les gens ne peuvent pas se réunir pour prendre part à des événements culturels et communautaires importants comme les services religieux, les mariages ou les funérailles. Tout d’abord, le Comité exprime ses condoléances à toutes les familles des victimes de la pandémie et aux communautés plus larges dont elles sont membres.

2.La pandémie a des effets profondément négatifs sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, en particulier le droit à la santé des groupes les plus vulnérables de la société. Comme le Comité l’explique plus loin, les États parties sont tenus de prendre des mesures pour prévenir ou du moins atténuer ces effets. Pourtant, si l’action des États ne s’inscrit pas dans le cadre des droits de l’homme, il est clair que les mesures prises risquent de violer les droits économiques, sociaux et culturels et d’accroître la souffrance des groupes les plus marginalisés. Nul ne devrait être laissé de côté à cause de mesures qui s’imposent pour lutter contre cette pandémie. Les circonstances ont conduit le Comité à publier la présente déclaration afin de mettre en évidence les effets les plus importants de la pandémie sur les droits économiques, sociaux et culturels et d’adresser quelques recommandations aux États parties pour combattre la pandémie de COVID-19 d’une manière conforme aux obligations qui leur incombent en vertu du Pacte.

II.Impacts de la pandémie sur les droits économiques, sociaux et culturels

3.La pandémie de COVID-19 illustre avec éclat l’importance de l’indivisibilité et de l’interdépendance de tous les droits de l’homme. Elle est essentiellement une menace pour la santé mondiale. Toutefois, elle a des conséquences multiples sur la jouissance des droits civils et politiques parce que certaines des mesures prises par les États pour la combattre imposent des restrictions draconiennes à la liberté de mouvement et à d’autres droits. Il est donc capital que les mesures adoptées par les États pour lutter contre cette pandémie soient raisonnables et proportionnées afin que la protection de tous les droits de l’homme soit garantie.

4.Des décennies de sous-investissement dans les services de santé et d’autres programmes sociaux publics, auxquelles s’est ajoutée la crise financière mondiale de 2007‑2008, ont affaibli les systèmes de soins de santé et les programmes sociaux, qui sont donc mal équipés pour répondre efficacement et rapidement à l’intensité de la pandémie actuelle.

5.Les groupes défavorisés et marginalisés sont frappés de plein fouet par la crise actuelle. Si elles sont infectées par le coronavirus, les personnes âgées, les personnes atteintes de maladies préexistantes et les personnes dont le système immunitaire est affaibli courent des risques particulièrement graves. D’autres groupes sont très exposés à la contagion, telles les personnes qui vivent dans des établissements de soins ou des logements collectifs, les prisonniers et les personnes en centre de détention, et les résidents d’établissements informels ou d’autres lieux où l’accès à l’eau, au savon ou aux solutions désinfectantes est insuffisant. Certaines catégories de travailleurs, comme les livreurs, les éboueurs, les travailleurs manuels et les travailleurs du secteur agricole, sont plus exposés que les autres au risque d’infection, car la nature de leur travail ne leur permet pas de profiter des dispenses et de travailler à domicile grâce à la technologie numérique. De nombreux travailleurs de la santé, qui mènent une action héroïque en première ligne, face à la pandémie, sont infectés parce qu’il n’y a pas suffisamment d’équipements et de vêtements de protection individuelle ou que ceux-ci ne sont pas adaptés. Plusieurs groupes sont gravement pénalisés par les conséquences économiques des mesures adoptées dans un certain nombre de pays pour contenir la propagation de la COVID-19. Il s’agit notamment des travailleurs précaires de l’économie du travail à la tâche ou du secteur informel, ainsi que d’autres groupes de travailleurs qui subissent des réductions ou des pertes de salaires et de prestations sociales, dont les travailleuses et les travailleurs domestiques dans de nombreux pays. Les commerçants du secteur informel et un certain nombre de petites entreprises ne peuvent plus exercer leur métier ou mener leurs activités, ce qui provoque une profonde insécurité économique pour eux-mêmes et les personnes qu’ils ont à charge.

6.L’inadéquation des biens publics et des services sociaux creuse également les inégalités de revenu et de richesse au niveau mondial. Ceux qui vivent dans la pauvreté n’ont pas les moyens d’acheter des biens et des services sociaux essentiels sur le marché privé, et ils assument une part disproportionnée des conséquences économiques des mesures de quarantaines et de confinement et de la situation économique nationale et internationale défavorable.

7.Dans les pays où les écoles, les collèges techniques et les établissements d’enseignement supérieur sont fermés, des efforts sont faits pour poursuivre l’enseignement et l’apprentissage en ligne. Ces mesures sont importantes pour atténuer l’impact des fermetures sur le droit à l’éducation. Pourtant, elles risquent d’aggraver les inégalités en matière d’éducation entre les apprenants riches et les apprenants pauvres, qui ne sont pas égaux en ce qui concerne l’accès à des prix abordables aux services Internet et à des équipements tels que les ordinateurs, les téléphones intelligents et les tablettes.

8.La pandémie de COVID-19 menace également d’aggraver les inégalités entre les sexes, car la charge des soins aux enfants et aux parents malades ou âgés vivant à la maison incombe de manière disproportionnée aux femmes, compte tenu des rôles et des stéréotypes de genre encore profondément ancrés dans de nombreuses sociétés. Dans des circonstances où les familles sont en quarantaine ou en confinement, les femmes risquent d’être plus exposées à la violence domestique et n’ont que des recours limités.

9.Les populations autochtones, les réfugiés, les demandeurs d’asile et les personnes qui vivent dans des pays ou des régions touchés par des conflits sont particulièrement vulnérables pendant cette pandémie. Beaucoup d’entre eux n’ont pas un accès adéquat à l’eau, au savon ou aux solutions désinfectantes, aux tests de détection du coronavirus, aux services de soins de santé et à l’information. Par rapport aux autres, ces populations affichent souvent des taux de maladies chroniques et de problèmes de santé sous-jacents plus élevés, qui leur font courir un risque accru de développer de graves complications de santé en cas de COVID-19.

III.Recommandations

10.Afin de garantir que les droits et les obligations découlant du Pacte seront protégés et respectés pendant cette crise, les États parties devraient prendre une série de mesures urgentes. En particulier, les réponses à la pandémie devraient être fondées sur les meilleures preuves scientifiques disponibles pour protéger la santé publique.

11.Lorsqu’elles limitent les droits prévus par le Pacte, les mesures adoptées doivent être conformes aux conditions énoncées à l’article 4 de l’instrument. En substance, ces mesures doivent être nécessaires pour lutter contre la crise de santé publique provoquée par la COVID-19, et être raisonnables et proportionnées. Les États parties ne doivent pas faire un usage abusif des mesures et des pouvoirs d’urgence qu’ils mettent en place pour faire face à la pandémie et ils doivent y mettre fin dès qu’ils ne sont plus nécessaires pour protéger la santé publique.

12.Dans le cadre de la réponse à la pandémie, la dignité inhérente à toutes les personnes doit être respectée et protégée, et les obligations fondamentales minimum imposées par le Pacte doivent être considérées comme prioritaires. Dans ce contexte difficile, l’accès à la justice et à des recours juridiques utiles n’est pas un luxe, mais un élément essentiel pour protéger les droits économiques, sociaux et culturels, en particulier ceux des groupes les plus vulnérables et marginalisés. Ainsi, par exemple, dans les cas de violence domestique, il est capital que les agents de la force publique interviennent, que les lignes téléphoniques d’urgence soient ouvertes et que les femmes et les enfants victimes aient un accès effectif à la justice et aux recours juridiques.

13.Il est impératif que les États parties adoptent les mesures réglementaires propres à mobiliser les ressources sanitaires du secteur tant public que privé et à les répartir dans toute la population afin d’apporter à la crise une réponse globale et coordonnée. En tant qu’intervenants de première ligne face à cette crise, tous les travailleurs de la santé doivent recevoir des vêtements et des équipements de protection contre la contagion. Il est également essentiel qu’ils soient consultés par les décideurs et que leurs conseils soient pris en considération comme il se doit. Les travailleurs de la santé jouent un rôle déterminant en ce qu’ils sont les premiers à donner l’alerte sur la propagation de maladies telles que la COVID-19 et qu’ils recommandent des mesures efficaces de prévention et de traitement.

14.Les États parties sont tenus de consacrer le maximum de leurs ressources disponibles au plein exercice de tous les droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit à la santé. Comme cette pandémie et les mesures prises pour la combattre ont eu des effets négatifs disproportionnés sur les groupes les plus marginalisés, les États doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir afin de mobiliser les ressources nécessaires pour lutter contre la COVID-19 de la manière la plus équitable possible de façon à éviter d’imposer un fardeau économique supplémentaire à ces groupes. L’allocation des ressources doit donner la priorité aux besoins particuliers de ces groupes.

15.Tous les États parties devraient, de toute urgence, adopter des mesures spéciales et ciblées, y compris dans le cadre de la coopération internationale, pour protéger les groupes vulnérables, tels que les personnes âgées, les personnes handicapées, les réfugiés et les populations touchées par des conflits, ainsi que les communautés et les groupes victimes de discrimination et d’exclusion structurelles, contre la pandémie et atténuer les effets qu’elle a sur ces personnes. Ces mesures comprennent, notamment, l’approvisionnement en eau, en savon et en produits d’hygiène des communautés qui en manquent ; la mise en œuvre de programmes ciblés pour protéger les emplois, les salaires et les prestations de tous les travailleurs, y compris les travailleurs migrants sans papiers ; un moratoire sur les expulsions ou les saisies de biens immobiliers hypothéqués pendant la pandémie ; des programme d’aide sociale et de complément de revenu pour garantir la sécurité alimentaire et les moyens d’existence à tous ceux qui sont dans le besoin ; des mesures adaptées pour protéger la santé et les moyens de subsistance de groupes minoritaires vulnérables, tels que les Roms, ainsi que ceux des populations autochtones ; l’accès équitable à un prix abordable aux services Internet pour tous à des fins éducatives.

16.Tous les travailleurs devraient être protégés contre les risques de contagion au travail, et les États parties devraient adopter des mesures réglementaires appropriées pour garantir que les employeurs réduisent au minimum ces risques, conformément aux meilleures pratiques de santé publique. Tant que ces mesures n’ont pas été adoptées, les travailleurs ne peuvent pas être obligés de travailler et devraient être protégés contre les sanctions disciplinaires ou autres pour avoir refusé de le faire sans protection adéquate. En outre, les États parties devraient prendre des mesures immédiates pour protéger les emplois, les retraites et les autres prestations sociales des travailleurs pendant la pandémie et pour atténuer ses répercussions économiques, par exemple en subventionnant les salaires, en accordant des allégements fiscaux et en mettant en place des programmes complémentaires de sécurité sociale et de protection des revenus.

17.Des mesures réglementaires doivent également être adoptées pour empêcher la réalisation de gains exorbitants sur les denrées alimentaires, les produits d’hygiène et les médicaments et fournitures essentiels. Les mesures recommandées sont notamment la suppression de la taxe à la valeur ajoutée sur ces fournitures pendant la pandémie et l’octroi de subventions pour les denrées alimentaires et les produits d’hygiène essentiels afin de garantir qu’ils soient d’un prix abordable pour les pauvres.

18.Des informations précises et accessibles sur la pandémie sont primordiales aussi bien pour réduire le risque de transmission du virus que pour protéger la population contre une désinformation dangereuse. Elles sont également essentielles pour réduire le risque que courent les groupes vulnérables, y compris les personnes infectées par le coronavirus, d’être victimes de comportements stigmatisants et préjudiciables. Ces informations devraient être fournies régulièrement, dans un format accessible et dans toutes les langues locales et les langues autochtones. Des mesures devraient également être prises pour accélérer l’accès de tous les étudiants, en particulier ceux des communautés et des régions les plus pauvres, à des services Internet et à des équipements techniques essentiels d’un prix abordable, qui leur permettent de bénéficier des programmes d’apprentissage en ligne dans des conditions d’égalité, pendant que les écoles et les établissements d’enseignement supérieur sont fermés en raison de la pandémie.

19.La pandémie de COVID-19 est une crise mondiale, qui met en évidence l’importance cruciale de l’assistance et de la coopération internationales, un principe fondamental consacré par le Pacte. Cette assistance et cette coopération internationales incluent la mise en commun des résultats de la recherche, des fournitures et des équipements médicaux, ainsi que des meilleures pratiques de lutte contre le virus ; l’action coordonnée menée pour atténuer les conséquences économiques et sociales de la crise ; les initiatives conjointes prises par tous les États pour assurer un redressement économique effectif et équitable. Les besoins des groupes vulnérables et défavorisés et des pays fragiles, y compris les pays les moins avancés et les pays en situation de conflit et d’après-conflit, devraient être au centre de ces efforts internationaux.

20.Les États parties ont des obligations extraterritoriales liées aux efforts mondiaux de lutte contre la COVID-19. En particulier, les États développés devraient éviter de prendre des décisions, telles que les limites imposées à l’exportation d’équipements médicaux, qui ont pour effet de bloquer l’accès à des équipements vitaux pour les victimes les plus pauvres de la pandémie dans le monde. En outre, les États parties devraient veiller à ce que les mesures unilatérales prises concernant les frontières n’entravent pas la circulation des biens nécessaires et essentiels, en particulier les aliments de base et les équipements sanitaires. Toute restriction motivée par la volonté de garantir l’approvisionnement national doit être proportionnée et prendre en considération les besoins urgents des autres pays.

21.Les États parties devraient également utiliser leur droit de vote au sein des institutions financières internationales pour réduire la charge financière qui pèse sur les pays en développement en lutte contre la pandémie, par exemple en mettant en place à leur intention des mécanismes d’allégement de la dette. Ils devraient aussi promouvoir les flexibilités ou d’autres ajustements des régimes de propriété intellectuelle applicables pour permettre l’accès universel aux bienfaits des progrès scientifiques concernant la COVID‑19, tels que les diagnostics, les médicaments et les vaccins.

22.Les sanctions unilatérales de nature économique et financière affaiblissent les systèmes de soins de santé et pourraient compromettre les efforts déployés pour lutter contre la COVID-19, en particulier en ce qui concerne l’acquisition de fournitures et d’équipements médicaux. Ces sanctions devraient être levées pour permettre aux pays touchés d’avoir accès aux ressources dont ils ont besoin pour lutter efficacement contre la pandémie de COVID-19.

23.Les pandémies illustrent de façon unique combien la coopération scientifique internationale est nécessaire pour faire face aux menaces transnationales. Les virus et autres agents pathogènes ne respectent pas les frontières. Si des mesures adéquates ne sont pas prises, une épidémie locale peut très rapidement se transformer en une pandémie aux conséquences dévastatrices. Le rôle de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans ce domaine est fondamental et doit être soutenu. Pour lutter efficacement contre les pandémies, il faut que les États s’engagent plus fermement en faveur de la coopération internationale, car les solutions nationales sont insuffisantes. Le renforcement de la coopération internationale devrait améliorer l’état de préparation des États et des organisations internationales, en particulier l’OMS, face aux pandémies, par exemple grâce à l’échange d’informations scientifiques sur les possibles agents pathogènes. Il devrait également améliorer les mécanismes d’alerte précoce, grâce à la diffusion rapide et transparente par les États d’informations sur l’apparition d’épidémies qui seraient susceptibles de se transformer en pandémies. Il serait possible ainsi d’intervenir tôt, sur la base des meilleures preuves scientifiques, afin d’endiguer ces épidémies et de les empêcher d’évoluer en pandémies. Dans le cas où une pandémie se développe, la mise en commun des meilleures connaissances scientifiques et de leurs applications, en particulier dans le domaine médical, devient déterminante pour atténuer l’impact de la maladie et accélérer la découverte de traitements et de vaccins efficaces. De plus, après la pandémie, il faudrait encourager la recherche scientifique afin de tirer des enseignements et de mieux se préparer aux pandémies qui pourraient survenir dans le futur.

24.La COVID-19 a mis en lumière l’importance de l’investissement dans les systèmes de santé, des programmes de protection sociale d’envergure, du travail décent, du logement, de l’alimentation, de l’eau et des systèmes d’assainissement, ainsi que des institutions œuvrant en faveur de l’égalité des sexes. Ces investissements sont essentiels pour répondre efficacement aux pandémies mondiales et pour contrecarrer les formes multiples et croisées d’inégalité, dont les profondes inégalités de revenu et de richesse aussi bien dans les pays qu’entre eux.

25.Enfin, le Comité demande à tous les États parties de faire en sorte que l’extraordinaire mobilisation de ressources qui a eu lieu pour faire face à la pandémie de COVID-19 donne l’impulsion voulue à la mobilisation de ressources à long terme pour la pleine jouissance dans des conditions d’égalité des droits économiques, sociaux et culturels consacrés par le Pacte. Ce faisant, ils jetteront les bases nécessaires à la réalisation de l’idéal inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, à savoir l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres et « libérés de la terreur et de la misère ». Des mécanismes visant à faciliter la coopération et la solidarité nationales et internationales ainsi que des investissements substantiels dans les institutions et les programmes nécessaires à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels permettront de mieux préparer le monde aux pandémies et aux catastrophes futures. Le Comité continuera de surveiller les effets de la pandémie de COVID-19 sur les droits économiques, sociaux et culturels en s’acquittant des divers mandats qui lui sont confiés au titre du Pacte.