Nations Unies

E/C.12/2015/1

Conseil économique et social

Distr. générale

15 avril 2015

Français

Original: anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Les socles de protection sociale: un élément essentiel du droit à la sécurité sociale et des objectifs de développement durable

Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels *

Cadre général

La question de la protection des droits économiques, sociaux et culturels a gagné en importance aux niveaux national et international, en raison notamment des nombreuses mutations économiques et sociales en cours dans diverses régions du monde. Dans de nombreux pays développés, les effets de la récente récession économique ont fait craindre que ces droits ne soient pas suffisamment protégés. En revanche, nombre de pays en développement ont connu des taux de croissance relativement élevés, ce qui leur a permis de disposer des ressources nécessaires pour lancer et exécuter progressivement des programmes de protection sociale. Dans ce contexte, l’établissement de socles de protection sociale définis à l’échelle nationale, à savoir d’ensembles fondamentaux de garanties sociales de base, en espèces et en nature, joue un rôle essentiel lorsqu’il s’agit de promouvoir une sécurité élémentaire de revenu et l’accès à des soins de santé, et de faciliter l’exercice de plusieurs droits économiques et sociaux par les groupes les plus marginalisés de la population (voir A/HRC/28/35, par. 2).

Dans certaines de ses observations finales concernant la réalisation du droit à la sécurité sociale par les États parties au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a recommandé l’établissement de socles de protection sociale qui garantissent des droits aux personnes à titre de premier pas vers l’élaboration progressive d’un système universel et global de sécurité sociale pleinement conforme aux dispositions de l’article 9 du Pacte. Dans une lettre datée de mai 2012, le Président du Comité a appelé l’attention des États parties sur le fait que toute proposition de changement ou d’ajustement des politiques visant à neutraliser les effets néfastes des mesures d’austérité sur l’exercice des droits consacrés par le Pacte devait prévoir un minimum indispensable de droits ou un socle de protection sociale tel que défini par l’Organisation internationale du Travail (OIT), et en assurer la protection en toutes circonstances.

En outre, l’une des composantes de la proposition d’objectif 1 des objectifs de développement durable pour l’après-2015 est la mise en place de systèmes et de mesures de protection sociale pour tous, adaptés au contexte national, y compris de mesures plancher (voir A/68/970 et Corr.1).

Objectif

Comme suite à son appel invitant les États à établir expressément un lien entre lesobjectifs de développement durable et les indicateurs et échéances pertinents, d’une part, et les normes et principes relatifs aux droits de l’homme, dont le droit de ne pas faire l’objet de discrimination, l’égalité entre hommes et femmes, la participation et l’inclusion et la transparence et l’obligation de rendre des comptes, d’autre part, le Comité réaffirme ici que son Observation générale no19 concernant le droit à la sécurité sociale et laRecommandationno202 de l’OIT sur les socles de protection sociale sont complémentaires.

La définition du droit à la sécurité sociale énoncée dans l’Observation générale no 19 du Comité comporte trois éléments fondamentaux:

a)L’idée selon laquelle la sécurité sociale est un droit de l’homme et une nécessité économique et sociale pour le développement et le progrès;

b)La réaffirmation de la fonction redistributrice de la sécurité sociale et du rôle qu’elle joue en favorisant l’inclusion sociale;

c)L’idée selon laquelle la responsabilité d’assurer la réalisation du droit à la sécurité sociale incombe globalement et principalement à l’État.

Ces éléments font partie intégrante de l’ensemble défini à l’échelon national de garanties fondamentales en matière de sécurité sociale associées aux socles de protection sociale, dont l’objectif est d’assurer le respect de la dignité humaine et de prévenir ou d’atténuer la pauvreté, la vulnérabilité et l’exclusion sociale. En outre, l’un des éléments des socles de protection sociale, à savoir le postulat selon lequel il faut garantir la disponibilité, la continuité et l’accès aux services publics tels que l’eau, l’assainissement, la santé, l’éducation et le travail social en faveur des familles, découle de plusieurs droits consacrés par le Pacte.

Obligations fondamentales

Les socles de protection sociale nécessitent l’adoption d’un ensemble de garanties fondamentales en matière de sécurité sociale propres à assurer l’accès universel aux services essentiels de santé et la sécurité élémentaire de revenu. Ces garanties peuvent prendre la forme de transferts en espèces et en nature tels que des allocations pour enfants, des prestations d’aide au revenu associées à des garanties d’emploi pour les personnes pauvres en âge de travailler, des pensions universelles pour personnes âgées financées par les recettes fiscales et des allocations pour personnes handicapées et personnes ayant perdu leur principal soutien de famille.

En vertu de l’Observation générale no 19, ces garanties relèvent de l’obligation fondamentale faite aux États d’assurer, outre un accès adéquat aux services essentiels, l’accès à un régime de sécurité sociale qui garantisse, au minimum, à l’ensemble des personnes et des familles un niveau essentiel de prestations, qui leur permette de bénéficier au moins des soins de santé essentiels, d’un hébergement et d’un logement de base, de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement, de denrées alimentaires et des formes les plus élémentaires d’enseignement. L’expression «l’ensemble des personnes et des familles» renvoie au principe fondamental de l’universalité et à l’idée selon laquelle chaque individu compte. De même, les socles nationaux de protection sociale doivent permettre de garantir, tout particulièrement aux plus vulnérables et aux plus défavorisés, dont les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées, les travailleurs du secteur non structuré et les non-nationaux, une sécurité de revenu et un accès aux services de base tout au long de la vie (voir A/HRC/28/35, par.37 à53).

Femmes

Les femmes n’ont souvent pas droit à des prestations de sécurité sociale et à des pensions, soit parce qu’elles travaillent dans le secteur informel, soit parce qu’elles remplissent plus difficilement les critères nécessaires, ou simplement parce qu’elles ont une activité non rémunérée qui n’est pas reconnue comme une contribution économique à la collectivité et à la société. La difficulté vient aussi du fait qu’on considère souvent les femmes comme étant à la charge de leur conjoint, et non comme des titulaires de droits à part entière. Compte tenu de ce constat, le Comité souligne que plusieurs des garanties fondamentales qui font partie des socles nationaux de protection sociale, dont la santé maternelle, les allocations familiales, les allocations de maternité et les pensions, contribuent à l’établissement de prestations universelles. En outre, ces prestations réduisent les inégalités entre les sexes en allégeant le fardeau des femmes, qui continuent d’assumer une part disproportionnée des tâches ménagères.

Réalisation progressive des droits

Tout en soulignant que les socles de protection sociale constituent une obligation fondamentale sans laquelle les droits économiques et sociaux, dont le droit à la sécurité sociale, seraient vides de sens, le Comité rappelle aux États parties qu’ils sont tenus d’assurer la réalisation progressive du droit à la sécurité sociale, comme souligné dans sonObservation généraleno19. Cette idée est également exprimée dans laRecommandation no 202 de l’OIT, qui prévoit des stratégies visant à élargir l’accès à la sécurité sociale, le but étant que le plus possible de personnes puissent bénéficier d’un niveau toujours plus élevé de protection. En fait, si l’on s’en sert comme d’un seuil et non comme d’un plafond, et à condition qu’ils soient établis et mis en œuvre conformément aux normes et aux principes relatifs aux droits de l’homme, les socles de protection sociale peuvent grandement favoriser l’exercice de plusieurs droits économiques et sociaux.

Le Comité note avec satisfaction que des socles de protection sociale sont progressivement mis en place dans des pays de différents niveaux de développement économique et social, au moyen de toute une série de programmes et de mesures, comme le montre le rapport de l’OITsur la protection sociale dans le monde 2014-2015.

Certains pays à faible revenu où les filets de protection sociale sont temporaires, où les objectifs sont étroitement délimités et où le montant des prestations est très faible, étudient la possibilité de développer les transferts de prestations sociales et de mettre en place des socles de protection sociale définis au plan national dans le cadre d’un système global de protection sociale. Actuellement, plus d’une vingtaine de pays en développement ont atteint ou sont sur le point d’atteindre l’objectif de l’accès universel à un régime de retraite; quelques autres pays pilotent actuellement des systèmes non contributifs de prestations de retraite. Nombre de pays à revenu moyen étendent progressivement la portée de leur système de protection sociale et, ce faisant, soutiennent les stratégies de croissance fondées sur la demande intérieure, lesquelles stimulent à leur tour le développement.

Les États disposent de plusieurs options pour accroître leur marge d’action budgétaire à des fins de protection sociale, même dans les pays les plus pauvres, par exemple en redistribuant les dépenses publiques de façon à mettrel’accent sur les dépenses sociales, en augmentant les recettes fiscales, en réduisant la dette ou le service de la dette, en adaptant le cadre macroéconomique, en luttant contre les flux financiers illicites et en accroissant les cotisations de sécurité sociale. En outre, il faut bien voir que, compte tenu des obligations qui leur incombent en vertu du Pacte, les États ne peuvent pas se permettre de ne pas allouer suffisamment de ressources à la protection sociale étant donné que ces allocations favorisent la réalisation des droits de l’homme et le développement économique et social.

Le Comité reconnaît l’importance des principes directeurs définis dans laRecommandation no202 de l’OIT et souligne que l’établissement de socles de protection sociale devrait être fondé sur un consensus national, ce qui suppose que toutes les parties prenantes participent à la conception, à l’application, au suivi et à l’évaluation des éléments constitutifs des socles de protection sociale. Les organisations régionales et internationales, dont les institutions financières internationales, ont aussi un rôle à jouer en encourageant lesÉtats à créer les conditions nécessaires à la mise en œuvre rationnelle de socles de protection sociale.

Le Comité réaffirme que des ressources suffisantes doivent être allouées au niveau national et au moyen de l’aide et de la coopération internationales afin que l’obligation de réaliser progressivement les droits consacrés par le Pacte soit respectée. La création d’un fonds mondial pour la protection sociale proposée par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation et le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, et l’incorporation de la question de la protection sociale dans les recommandations clefs formulées par le Groupe de personnalités de haut niveau chargées du programme de développement pour l’après-2015 dans son rapport, intitulé «Pour un nouveau partenariat mondial: vers l’éradication de la pauvreté et la transformation des économies par le biais du développement durable», constituent un pas important dans la bonne direction et pourraient encourager les États à faire un investissement initial dans des systèmes publics durables de protection sociale.

Le Comité répète que, comme l’a souligné le Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, l’adoption de socles de protection sociale et d’initiatives étroitement connexes prises dans un cadre général défini par les droits de l’homme, devrait être l’objectif central de tous les acteurs s’occupant des questions de droits de l’homme et de développement (voir A/69/297, par. 6).

Le Comité encourage tous les États à renforcer les normes et les principes relatifs aux droits de l’homme au moment d’élaborer des socles de protection sociale, en particulier les principes de non-discrimination, de participation et de responsabilisation, et à reconnaître expressément le droit à la sécurité sociale en garantissant des droits aux bénéficiaires, qui deviendront ainsi des titulaires de droits. Il encourage également les États à inclure l’établissement de socles de protection sociale dans les objectifs de développement durable en tant que moyens importants de combattre la pauvreté et la discrimination et d’assurer le développement durable après 2015 afin de parvenir à la pleine réalisation des droits consacrés par le Pacte.