Nations Unies

E/C.12/2017/1

Conseil économique et social

Distr. générale

13 mars 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Devoirs des États envers les réfugiés et les migrants au titre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels *

I.Introduction

Dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, adoptée le 19 septembre 2016 à l’issue de la réunion plénière de haut niveau de l’Assemblée générale consacrée à la question des déplacements massifs de réfugiés et de migrants, les chefs d’État et de gouvernement et les hauts représentants ont réaffirmé les droits fondamentaux de tous les réfugiés et migrants, quel que soit leur statut, et se sont engagés à protéger pleinement ces droits. Ils ont rappelé que « si leur traitement relève de cadres juridiques distincts, les réfugiés et les migrants jouissent des mêmes libertés fondamentales et droits de l’homme universels ». Ils se sont engagés à progresser vers l’adoption, en 2018, d’un pacte mondial sur les réfugiés et d’un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

À l’heure où la communauté internationale se penche sur la manière de traiter la situation des personnes qui quittent des pays ravagés par la guerre pour fuir les conflits et les persécutions et où elle examine comment faire face aux problèmes que soulèvent les flux migratoires, des questions s’élèvent quant à l’éventail des droits économiques, sociaux et culturels dont devraient jouir ces personnes dans les pays qu’elles traversent ou dans lesquels elles cherchent refuge et souhaitent s’installer. Dans ces circonstances, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels tient à rappeler les garanties qu’offre le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

II.Accueil des réfugiés et des migrants :obligations immédiates au titre du Pacte

Toutes les personnes relevant de la juridiction de l’État considéré devraient bénéficier des droits que consacre le Pacte. Ce constat vaut pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, ainsi que pour les autres migrants, même s’ils se trouvent en situation irrégulière dans le pays considéré. La Convention relative au statut des réfugiés et le Protocole s’y rapportant énoncent un certain nombre de prescriptions s’imposant aux États parties relatives aux droits économiques, sociaux et culturels des réfugiés. En pratique, ces prescriptions laissent cependant une grande marge d’appréciation aux États. Le Pacte devrait être considéré comme un complément à la Convention.

Le Pacte indique clairement que les droits qu’il consacre ne pourront être pleinement exercés que d’une manière progressive, chaque État partie s’engageant à agir au maximum de ses ressources disponibles (voir le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte). Toutefois, cela ne signifie pas que les États parties peuvent repousser indéfiniment l’adoption de mesures visant à garantir les droits des personnes relevant de leur juridiction. De plus, le Pacte impose un certain nombre d’obligations d’effet immédiat. Ces obligations s’appliquent même en faveur des personnes appartenant à de grands groupes de réfugiés ou de migrants qui se retrouvent soudainement sous la juridiction des États concernés.

Interdiction de la discrimination fondée sur la nationalité ou le statut juridique

La disposition du Pacte prescrivant de garantir tous les droits sans discrimination impose aux États parties une obligation d’effet immédiat. Chaque État dispose d’une certaine marge d’appréciation quant aux mesures à prendre pour réaliser progressivement les droits énoncés dans le Pacte, sous réserve que ces mesures aient un caractère délibéré, concret, et visent aussi clairement que possible à la réalisation des obligations reconnues dans le Pacte. Quelles que soient les mesures adoptées par un État, elles ne doivent en rien aboutir à une discrimination. Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence, ou tout autre traitement différencié fondé sur la nationalité ou le statut juridique doit donc être établi par la loi, répondre à un objectif légitime et demeurer proportionné au but recherché. Toute différence de traitement ne satisfaisant pas à ces conditions doit être considérée comme une discrimination illégale, interdite par le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte. En outre, l’article 3 du Pacte exige des États parties qu’ils s’engagent à assurer le droit égal qu’ont l’homme et la femme au bénéfice des droits énoncés dans le Pacte. Selon l’observation générale no 20 (2009) du Comité, relative à la non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, le manque de ressources disponibles ne saurait être considéré comme une justification objective et raisonnable d’une différence de traitement, « à moins que tous les efforts aient été faits afin d’utiliser toutes les ressources dont dispose l’État pour, à titre prioritaire, entreprendre de remédier à la discrimination et de l’éliminer » (par. 13).

Le Comité a exposé clairement que la protection d’une personne contre la discrimination ne peut être conditionnée au fait qu’elle soit en situation régulière dans le pays qui l’accueille. Dans son observation générale no 20, il a par exemple souligné qu’étant donné que « le motif de la nationalité ne doit pas empêcher l’accès aux droits consacrés par le Pacte […], tous les enfants vivant dans un État, même ceux qui sont en situation irrégulière, ont le droit de recevoir une éducation et d’avoir accès à une nourriture suffisante et à des soins de santé abordables » (par. 30), et qu’outre le droit d’exercer une profession non salariée, garanti à tous les réfugiés par la Convention relative au statut des réfugiés, toute différence de traitement dans l’accès à l’emploi devrait être justifiée conformément aux critères énoncés ci-dessus au paragraphe 5. Le Comité note à ce propos que l’accès à l’éducation et l’accès à l’emploi sont d’importants canaux d’intégration dans le pays hôte et permettent de réduire la dépendance des réfugiés ou des migrants vis-à-vis de l’assistance publique ou des institutions caritatives privées.

En cohérence avec l’exigence de non-discrimination, les États parties devraient accorder une attention particulière aux obstacles concrets auxquels certains groupes peuvent se heurter dans l’exercice des droits qu’ils tiennent du Pacte. Du fait de leur situation précaire, les demandeurs d’asile et les migrants sans papiers courent tout particulièrement le risque d’être victimes de discrimination dans l’exercice de ces droits.

Le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte prévoit une seule exception, de portée limitée, au principe de non-discrimination fondée sur la nationalité dans l’exercice des droits consacrés par le Pacte. Cette disposition indique que « les pays en voie de développement, compte dûment tenu des droits de l’homme et de leur économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les droits économiques reconnus dans le présent Pacte à des non-ressortissants ». Cette exception ne s’applique qu’aux pays en développement et ne concerne que les droits économiques, en particulier l’accès à l’emploi. Elle autorise ces États à déterminer la mesure dans laquelle ils entendent garantir ces droits, sans toutefois leur permettre de dénier entièrement à ces personnes l’exercice de ces droits. Le Comité, conscient du souci de ces États de protéger leurs ressortissants sur le marché de l’emploi, fait néanmoins observer qu’un migrant qui a accès à l’emploi ou à une profession non salariée peut en général contribuer à l’économie nationale (alors qu’il risque d’avoir besoin de l’assistance publique si on ne lui laisse aucun moyen de gagner un revenu). Il note également que même si l’éducation est parfois classée parmi les droits économiques, les États devraient reconnaître le droit à l’éducation de tout enfant, indépendamment de la nationalité ou du statut juridique de ses parents.

Obligations fondamentales

En toutes circonstances, le contenu essentiel minimum de chaque droit devrait être respecté, et la portée des obligations correspondantes devrait être étendue à toutes les personnes se trouvant sous le contrôle effectif de l’État, sans exception. Le Comité a souligné par le passé que les obligations consistant à mettre chacun à l’abri de la faim, à assurer un accès à l’eau suffisant pour satisfaire les besoins de base, l’accès aux médicaments essentiels et l’accès à une éducation conforme aux « normes minimales » en la matière, sont des obligations fondamentales de l’État et que leur portée ne devrait donc pas être restreinte pour des raisons de nationalité ou de statut juridique.

Le Comité a affirmé par le passé que « pour qu’un État partie puisse invoquer le manque de ressources lorsqu’il ne s’acquitte même pas de ses obligations fondamentales minimum, il doit démontrer qu’aucun effort n’a été épargné pour utiliser toutes les ressources qui sont à sa disposition en vue de remplir, à titre prioritaire, ces obligations minimum ». Les États parties au Pacte ne sont tenus de prendre en charge les réfugiés et les flux migratoires que dans la mesure de leurs ressources disponibles, mais ils ne sont pas fondés en principe à restreindre, en raison d’un manque de ressources, le bénéfice du contenu essentiel des droits consacrés par le Pacte, même lorsqu’ils sont confrontés à un afflux soudain et massif de réfugiés. Ainsi que le Comité l’a noté dans sa déclaration sur la pauvreté adoptée en 2001, « comme il ne peut être dérogé aux obligations fondamentales, celles-ci ne s’éteignent pas dans des situations de conflit ou d’urgence et en cas de catastrophe naturelle » (voir E/C.12/2001/10, par. 18).

III.Intégration des réfugiés et des migrants, et vulnérabilité particulière des migrants sans papiers

Au-delà de l’obligation immédiate consistant à garantir le bénéfice du contenu essentiel minimum des droits consacrés par le Pacte à tous les réfugiés et migrants qui relèvent de leur juridiction, les États parties devraient tenir compte du Pacte pour définir les conditions d’intégration des réfugiés et des migrants qui s’installent sur leur territoire. Le Comité attire en particulier l’attention des États parties sur le fait que l’exercice des droits énoncés dans le Pacte ne devrait pas dépendre du statut juridique des personnes concernées. L’absence de papiers empêche souvent les parents d’envoyer leurs enfants à l’école, ou les migrants d’accéder aux soins de santé, y compris aux traitements médicaux d’urgence, d’accéder à l’emploi, de faire une demande de logement social ou d’entreprendre une activité économique non salariée. Cette situation ne saurait être tolérée. Dans l’attente d’une réponse à leur demande d’attribution du statut de réfugié, les demandeurs d’asile devraient bénéficier d’un statut temporaire les autorisant à exercer leurs droits économiques, sociaux et culturels sans discrimination. Cela va au-delà de l’obligation élémentaire d’enregistrer les naissances, énoncée au paragraphe 1 de l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant et à l’article 29 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Il n’est pas non plus possible d’ignorer purement et simplement les migrants sans papier qui ne demandent pas l’asile. Sans préjudice de la possibilité pour un État de leur ordonner de quitter son territoire, le simple fait qu’ils relèvent de sa juridiction lui impose certaines obligations, dont bien sûr l’obligation primordiale de reconnaître leur présence et la possibilité pour eux de revendiquer leurs droits auprès des autorités nationales.

Dans son observation générale no 14 (2000) sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, le Comité a rappelé que les États parties ont l’obligation de respecter le droit à la santé, en faisant en sorte que chacun, migrants compris, puisse avoir accès dans des conditions d’égalité à des services de santé préventifs, curatifs et palliatifs, indépendamment de son statut juridique ou des papiers dont il dispose (par. 34). Le Comité sait que les migrants se heurtent à des obstacles particuliers à cet égard, puisqu’il peut être nécessaire de présenter des papiers pour avoir accès aux soins de santé. Les migrants, notamment ceux qui ne parlent pas la langue du pays d’accueil, n’ont pas forcément connaissance de leurs droits. Les migrants en situation irrégulière peuvent aussi avoir peur d’être retenus en vue d’une expulsion, en particulier dans les pays qui imposent aux fonctionnaires de signaler les migrants irréguliers. Non seulement il convient d’assurer l’accès aux soins de santé sans discrimination, mais il faudrait aussi cloisonner strictement les activités du personnel soignant de celles des autorités chargées de faire appliquer la loi, et mettre à disposition des informations appropriées dans les langues communément parlées par les migrants présents dans le pays d’accueil, afin d’éviter que ces situations ne conduisent des migrants à renoncer à se faire soigner.

Dans son observation générale no 23 (2016) sur le droit à des conditions de travail justes et favorables, reconnu à l’article 7 du Pacte, le Comité constate que les travailleurs migrants sont un groupe dont les droits sont particulièrement menacés. Il souligne que ces travailleurs, « en particulier lorsqu’ils n’ont pas de papiers, sont exposés à l’exploitation, à une durée du travail excessive, à des salaires inéquitables et à des conditions de travail dangereuses et insalubres » (alinéa e) du paragraphe 47). Le comité recense divers facteurs susceptibles d’aggraver leur vulnérabilité, notamment : les situations dans lesquelles l’employeur exerce un contrôle sur la situation du travailleur migrant au regard de la législation sur la résidence, ou bien dans lesquelles le travailleur migrant est lié à un employeur donné ; le fait que les travailleurs concernés ne parlent pas la ou les langues du pays ; la crainte de subir des représailles de la part des employeurs ; la peur d’être expulsés s’ils cherchent à se plaindre de leurs conditions de travail. Par conséquent, non seulement les lois et les politiques doivent garantir que les travailleurs migrants bénéficient d’un traitement non moins favorable que celui dont bénéficient les travailleurs nationaux en matière de rémunération et de conditions de travail, mais il peut être nécessaire d’adopter des mesures particulières de protection concernant les travailleurs sans papiers, pour faire en sorte de remédier effectivement à toute exploitation de leur situation de vulnérabilité, et afin qu’ils n’aient pas peur de porter plainte auprès des autorités compétentes.

Le droit au logement suscite des préoccupations analogues. Le Comité a constaté à plusieurs reprises que les migrants sont hébergés dans de mauvaises conditions, et sont parfois relégués dans des zones ségréguées. Le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale s’est fait l’écho de ces préoccupations dans sa recommandation générale no 30 (2004) concernant la discrimination contre les non-ressortissants, dans laquelle il exhorte les États parties à « supprimer les obstacles empêchant ou limitant l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels par les non-ressortissants, notamment dans les domaines […] du logement » (par. 29) et de « garantir la jouissance égale du droit à un logement adéquat pour les ressortissants et les non-ressortissants, notamment en évitant la ségrégation dans le logement et en veillant à ce que les organismes de logement s’abstiennent de recourir à des pratiques discriminatoires » (par. 32).

Dans son observation générale no 19 (2007) sur le droit à la sécurité sociale, le Comité rappelle que les migrants devraient avoir le droit de bénéficier des « régimes non contributifs de soutien du revenu et de la famille et accéder à des soins de santé abordables » (par. 37). Les restrictions d’accès, notamment l’exigence d’une certaine durée d’affiliation, devraient être raisonnables et proportionnées. L’extension des prestations sociales non contributives aux demandeurs d’asile et aux migrants sans papiers pose néanmoins des difficultés spécifiques, puisque la situation précaire de ces groupes et le caractère parfois temporaire de leur statut peuvent compliquer leur intégration dans de tels dispositifs. Le Comité note néanmoins que même lorsqu’ils sont employés en situation irrégulière, souvent par des employeurs peu scrupuleux qui cherchent à réduire leurs coûts en ne payant pas les cotisations sociales, les travailleurs relevant de ces catégories contribuent pourtant au financement du système de sécurité sociale par le paiement des taxes indirectes. L’impossibilité pour les travailleurs sans papiers de bénéficier de prestations sociales accroît leur vulnérabilité et leur dépendance vis-à-vis de leurs employeurs.

Le Comité reconnaît que la vulnérabilité des femmes et des filles migrantes ou réfugiées à la traite et aux autres formes de violence et d’exploitation à motivation sexiste s’accentue en temps de conflit ou de catastrophe. Cette vulnérabilité est encore exacerbée lorsque les migrantes et les réfugiées sont dépourvues de papiers et éprouvent de la réticence à signaler de telles violences, du fait de leur statut juridique et parce qu’elles ne font pas forcément confiance aux autorités ou peuvent craindre d’être expulsées.

IV.Collecte de données à l’appui des plans nationaux en faveur des droits

Le Comité note que dans nombre de cas, les rapports des États parties ne contiennent pas suffisamment d’informations sur la mesure dans laquelle les réfugiés statutaires, les demandeurs d’asile et les migrants sans papiers jouissent des droits consacrés par le Pacte. Le Comité exhorte les États parties à recueillir des données à ce sujet afin de lui donner les moyens d’évaluer la mesure dans laquelle ils se conforment aux obligations que leur impose le Pacte. La collecte de ces données peut grandement contribuer à l’adoption et à la mise en œuvre de politiques visant, par exemple, à améliorer l’accès à l’emploi, à l’éducation ou aux soins de santé des migrants, y compris sans papiers, qui relèvent de la juridiction de l’État partie.

V.Coopération internationale

Comme le confirment les articles 2 (par. 1), 11 (par. 2 b)), 22 et 23 du Pacte, la réalisation des droits consacrés par le Pacte est un objectif commun à tous les États parties. En tant que membres de l’Organisation des Nations Unies, ils se sont engagés à coopérer en vue d’atteindre ce but. L’assistance et la coopération internationales, notamment, sont requises pour permettre aux États qui doivent faire face à un afflux soudain de réfugiés et de migrants de s’acquitter de leurs obligations fondamentales, telles que définies plus haut. Comme le Comité l’a indiqué clairement dans sa déclaration sur la pauvreté, ces obligations « engendrent des responsabilités nationales pour tous les États et des responsabilités internationales pour les États développés ainsi que pour les intervenants qui sont “en mesure d’apporter leur concours” » (voir E/C.12/2001/10, par. 16). Le Comité sait bien que le fardeau à supporter par les États confrontés à des flux massifs de migrants fuyant les conflits ou les persécutions pèse plus lourdement sur certains que sur d’autres. Il considère que toute mesure adoptée par les États parties pour aider à la réalisation des droits énoncés dans le Pacte sur le territoire d’autres États contribue à la réalisation des objectifs du Pacte.