Nations Unies

E/C.12/66/D/20/2017

Conseil économique et social

Distr. générale

1er novembre 2019

Original : français

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant la communication no 20/2017 *

Communication présentée par :

M. L. B. (représenté par un conseil, Frédéric Fabre)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Luxembourg

Date de la communication :

28 novembre 2016

Date d’adoption de la décision :

11 octobre 2019

Objet :

Licenciement d’un délégué syndical

Question ( s ) de procédure :

Épuisement des voies de recours internes ; compétence ratione temporis; compétence ratione materiae ; appréciation des faits et des éléments de preuve ; communication manifestement infondée et griefs insuffisamment étayés ; compétence ratione loci

Question ( s ) de fond :

Droit du travail et de l’emploi

Article(s) du Pacte :

8 (par. 1 a) et 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3 (par. 1 et 2 b))

1.1L’auteur de la communication, présentée le 28 novembre 2016, est M. L. B., citoyen français né le 27 novembre 1960. Il allègue que le Luxembourg a violé ses droits énoncés aux paragraphes 1 a) et 3 de l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 3 mai 2015. L’auteur est représenté par un conseil, Frédéric Fabre.

1.2La communication a été enregistrée par le Comité le 20 février 2017.

1.3Dans la présente décision, le Comité commence par résumer les renseignements fournis et les arguments avancés par les parties, sans indiquer sa propre position, puis il examine les questions de recevabilité soulevées dans la communication.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était employé, depuis le 15 juillet 2002, dans une entreprise luxembourgeoise en tant que responsable du département des énergies alternatives, supervisant des chantiers aussi bien au Luxembourg qu’en France. L’auteur avait également été élu représentant du personnel, puis délégué syndical.

2.2Avec l’accord de la direction de l’entreprise, l’auteur avait mis en place une « caisse noire » qu’il alimentait par le produit de la revente des surplus de matériaux en fin de chantiers, notamment du cuivre. Ces reventes, qui se faisaient par les employés sur ordre de l’auteur, ont eu lieu pendant plusieurs années, aussi bien en France qu’au Luxembourg. Ensuite, ces reventes sur ordre de l’auteur ne se sont faites qu’au Luxembourg, en raison de contrôles mis en place en France sur la traçabilité des matériaux de chantier, afin de lutter contre le vol de matériaux sur les chantiers. Selon l’auteur, cette caisse noire servait notamment à acheter du matériel nécessaire au confort des salariés sur les chantiers (micro-ondes et cafetières), à payer les amendes routières des employés en déplacement, et à financer des repas de fin de chantier et des fêtes du personnel.

2.3Le 3 décembre 2013, la direction de l’entreprise est entrée avec un huissier dans le bureau de l’auteur, et y a trouvé une caisse contenant près de 3 000 euros en liquide.

2.4Le 5 décembre 2013, par lettre recommandée, l’entreprise a fait notifier à l’auteur sa mise à pied immédiate pour fautes graves, sur la base du paragraphe 2 de l’article L. 415-11 du Code du travail en vigueur au moment des faits.

2.5Le 13 décembre 2013, suite à une requête présentée par l’entreprise pour l’obtention d’une résolution judiciaire du contrat de travail, l’auteur a reçu une convocation du tribunal du travail d’Esch-sur-Alzette (Luxembourg).

2.6Le 7 février 2014, agissant conformément au paragraphe 3 de l’article L. 415-11 du Code du travail en vigueur à l’époque des faits, le tribunal du travail a décidé du maintien provisoire du salaire de l’auteur, en attendant la solution définitive du litige.

2.7Des audiences ont eu lieu les 8 juillet et 16 septembre 2014. Le 14 octobre 2014, le tribunal du travail a prononcé la résolution du contrat de travail de l’auteur pour faute grave, avec effet au 5 décembre 2013, date de sa mise à pied.

2.8L’auteur a interjeté appel de cette décision, soutenant que la direction de l’entreprise était informée de la revente du cuivre, et qu’elle tolérait celle-ci.

2.9Le 9 juin 2016, la Cour d’appel du Luxembourg a confirmé la résolution judiciaire du contrat de travail de l’auteur pour faute grave.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur conteste son licenciement, estimant que la direction était au courant de la pratique qui lui était reprochée et que le revenu dégagé servait « pour l’entreprise et pour qu’il y ait une bonne ambiance dans un travail particulièrement difficile ». L’auteur soutient que les griefs invoqués par son ancien employeur ne sont pas précis, que les reproches soulevés sont vagues, et que l’accusation la « plus grotesque » est qu’il serait « détesté des autres salariés ».

3.2L’auteur affirme également que la Cour d’appel n’a pas tenu compte des témoignages qu’il a présentés pour confirmer ses arguments, ceux-ci ayant été écartés « pour défaut de pertinence » et parce qu’ils seraient contredits par les autres éléments du dossier.

3.3L’auteur allègue ainsi la violation des paragraphes 1 a) et 3 de l’article 8 du Pacte, en raison de la méconnaissance par les juridictions de l’État partie de son statut de salarié protégé. Mettant en avant que l’un des grands principes de l’Organisation internationale du Travail est qu’un délégué syndical est un salarié protégé, il estime que les juridictions internes auraient dû procéder à un examen plus minutieux de la requête en résolution de son contrat de travail, et que la prudence impose à une juridiction de ne pas considérer des attestations ou de limiter la portée des attestations fournies par l’employeur contre un salarié licencié. L’auteur soutient que, dans l’État partie, un délégué syndical est un salarié qui bénéficie d’un statut sous-protégé, puisque, pour les tribunaux de l’État partie ayant examiné son licenciement, « il n’y a pas de différence à faire entre la faute grave du salarié et celle du salarié délégué protégé » et « la faute d’un délégué ne doit certainement pas être plus lourde que celle d’un collègue qui n’a pas cette qualité, le contraire pourrait tout au plus se concevoir si l’on admet qu’un délégué doit servir d’exemple aux autres membres du personnel ». La communication mentionne par ailleurs qu’après le licenciement de l’auteur, d’autres salariés ont également été licenciés, sans cependant fournir de précision à cet égard.

3.4L’auteur estime avoir épuisé toutes les voies de recours internes utiles. Il estime également qu’il serait inutile de se pourvoir en cassation, puisqu’il n’invoque pas une erreur de droit mais un problème d’interprétation des faits, et que seule une erreur de droit ou de procédure pourrait faire l’objet d’un recours devant la Cour de cassation. L’auteur précise aussi qu’une analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation entre 2014 et 2016, en matière de droit du travail, démontre qu’un salarié qui a perdu devant la Cour d’appel ne peut pas gagner devant la Cour de cassation. Selon lui, ce fait est causé par la présence d’un magistrat de la Cour d’appel au délibéré de la Cour de cassation. Connaissant parfaitement le dossier, ce dernier peut l’expliquer à ses collègues et les orienter dans le sens de la décision de la Cour d’appel. Par conséquent, l’auteur estime n’avoir vraiment aucune chance de succès devant la Cour de cassation.

Renseignements complémentaires communiqués par l’auteur

4.1Le 1er juin 2018, l’auteur a fait part au Comité d’un nouveau fait survenu le 10 avril 2018, lorsque la cour d’appel de Metz (France) l’a condamné à rembourser les salaires perçus entre décembre 2013 – date de sa mise à pied – et juin 2016 – date de l’arrêt de la Cour d’appel du Luxembourg –, avec intérêts, pour un total de 174 000 euros. Selon l’auteur, ces juges ne sont même pas des magistrats professionnels, mais souvent d’anciens policiers ou gendarmes qui imposent leur morale à la loi. L’auteur précise aussi que son ancien employeur luxembourgeois considère la France comme une colonie luxembourgeoise, en se tournant vers les tribunaux français pour obtenir le remboursement des salaires.

4.2Les 30 août et 3 décembre 2018, l’auteur a fait parvenir d’autres informations en lien avec l’arrêt de la cour d’appel de Metz, notamment le commandement de payer reçu de son ancien employeur.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Le 16 janvier 2019, l’État partie a soumis ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication.

5.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie estime en premier lieu que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes, puisqu’il ne s’est pas pourvu en cassation, ce qu’il aurait pu faire s’il avait estimé que la Cour d’appel avait fait une mauvaise interprétation du droit applicable.

5.3L’État partie estime en second lieu que la communication n’est pas recevable en raison d’une incompétence du Comité ratione temporis, étant donné que les faits rapportés ont eu lieu avant la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à son égard. Ainsi, la communication serait irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 3 du Protocole facultatif.

5.4Quant au fond, l’État partie estime que les droits de l’auteur découlant du Pacte et des instruments nationaux ont été respectés.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1L’auteur a répondu aux observations de l’État partie le 14 mars 2019. Concernant l’observation selon laquelle il aurait pu se pourvoir en cassation, il fait valoir que l’État partie ne donne aucune jurisprudence pour expliquer qu’il avait une chance de gagner devant la Cour de cassation. Il réitère qu’il ne s’agit pas d’une erreur de droit ou de procédure, mais d’interprétation des faits.

6.2Concernant la compétence ratione temporis, l’auteur renvoie à l’affaire Arellano Medina c. É quateur pour soutenir que le Comité est compétent, car l’arrêt de la Cour d’appel, postérieur à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie, fait partie des faits de l’espèce.

6.3Concernant le fond, l’auteur indique qu’étant donné que l’État partie ne présente pas d’arguments pour s’opposer à ses allégations, la violation doit être constatée par le Comité.

B.Délibérations du Comité sur la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité relève que l’État partie estime qu’il ne serait pas compétent ratione temporis pour examiner la présente communication, étant donné que les faits rapportés ont eu lieu en 2013, soit avant la date d’entrée en vigueur du Protocole à l’égard de l’État partie, le 3 mai 2015. Cependant, le Comité note que l’arrêt de la Cour d’appel à l’encontre de l’auteur a été prononcé le 9 juin 2016. Il rappelle que les décisions judiciaires des autorités nationales sont considérées comme faisant partie des faits, lorsqu’elles résultent de procédures directement liées aux faits initiaux, actes ou omissions, qui ont donné lieu à la violation, pour autant qu’elles soient susceptibles de remédier à la violation alléguée. Lorsque ces décisions surviennent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie concerné, le critère prévu au paragraphe 2 b) de l’article 3 ne fait pas obstacle à la recevabilité d’une communication, puisque, lorsque ces recours sont exercés, les juridictions nationales ont alors la possibilité de considérer les griefs, de mettre fin aux violations alléguées et, éventuellement, de les réparer. En l’espèce, la violation dont fait état l’auteur n’a pas son origine dans sa mise à pied, en décembre 2013, mais bien dans la déclaration de résolution judiciaire de son contrat de travail, confirmée par la Cour d’appel le 9 juin 2016. En ce sens, l’appel interjeté a permis aux juridictions nationales d’examiner de manière approfondie les éléments de preuve apportés par l’auteur et ses allégations de violations, afin, le cas échéant, d’y remédier. À la lumière de ce qui précède, le Comité ne peut donc déclarer la communication irrecevable au regard des dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.3Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au titre des dispositions du paragraphe 1 de l’article 3 du Protocole facultatif, étant donné que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes en ne s’étant pas pourvu en cassation, ce qu’il aurait pu faire s’il considérait que la Cour d’appel avait fait une mauvaise interprétation du droit applicable. Le Comité prend également note de l’argument de l’auteur selon lequel il serait inutile de saisir la Cour de cassation, puisque seule une erreur de droit ou de procédure pourrait faire l’objet d’un pourvoi, alors qu’il s’agirait en l’espèce d’un problème d’interprétation des faits. Le Comité note également que, selon l’auteur, un salarié qui a perdu devant la Cour d’appel n’a aucune chance de succès devant la Cour de cassation, allégation qu’il appuie sur le fait que l’État partie ne donne aucune jurisprudence pour expliquer qu’il avait une chance de gagner devant la Cour de cassation.

7.4Le Comité rappelle qu’en vertu des normes développées en droit international, de simples doutes quant aux chances de succès d’un recours ne dispensent pas l’auteur de l’exercer. Il observe à cet égard que l’auteur n’a pas développé son argument relatif au supposé caractère futile du pourvoi qu’il aurait pu introduire auprès de la Cour de cassation. Le Comité est conscient de ce qu’en vertu des lois du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, le pourvoi en cassation constitue dans l’État partie un recours extraordinaire formé devant la Cour de cassation contre une décision de justice rendue en dernier ressort, visant à vérifier la correcte application du droit et le respect des règles de procédure par les juges du fond. Il n’est cependant pas convaincu que, dût-elle avoir été sollicitée, la Cour de cassation n’aurait pas pu examiner les arguments de l’auteur concernant la protection due aux délégués syndicaux, ou l’interprétation de la notion de faute grave pouvant justifier le licenciement, au regard du paragraphe 2 de l’article L. 415-11 du Code du travail en vigueur à l’époque des faits. Il n’apparaît pas, du reste, que l’auteur a invoqué devant les juridictions nationales, même en substance, les droits qu’il prétend tirer des paragraphes 1 a) et 3 de l’article 8 du Pacte, qu’il invoque dans la présente communication. Le Comité en conclut que la présente communication est irrecevable au titre du paragraphe 1 de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5Finalement, le Comité relève que les griefs de l’auteur relatifs à l’arrêt de la cour d’appel de Metz sont irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif, puisque la présente communication est dirigée contre le Luxembourg, auquel les actes posés par la cour d’appel de Metz ne sont pas imputables.

C.Conclusion

8.Compte tenu de tous les renseignements fournis, le Comité, agissant en vertu du Protocole facultatif, considère que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 1 de son article 3.

9.La présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif.