NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.GÉNÉRALE

E/C.12/CYP/CO/512 juin 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELSQuarante-deuxième sessionGenève, 4-22 mai 2009

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

CHYPRE

Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné les quatrième et cinquième rapports périodiques combinés de Chypre sur l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/CYP/5) ainsi que les réponses écrites à la liste des points à traiter, à ses 9e et 10e séances, tenues le 8 mai 2009 (voir E/C.12/2009/SR.9 et 10), et a adopté, à sa 18e séance, tenue le 18 mai 2009, les observations finales ci-après.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation des quatrième et cinquième rapports périodiques combinés de l’État partie qui, dans l’ensemble, ont été établis conformément à ses directives. Il regrette néanmoins leur présentation tardive et invite l’État partie à présenter ses futurs rapports en temps voulu. Il regrette aussi que les informations qui lui ont été fournies sur la participation des organisations de la société civile et de l’Institution nationale des droits de l’homme à l’établissement desdits rapports aient été insuffisantes.

3.Le Comité prend note avec satisfaction des réponses écrites détaillées fournies par l’État partie à sa liste des points à traiter et du dialogue ouvert et constructif avec la délégation, qui était composée de représentants de divers ministères.

B. Aspects positifs

4.Le Comité accueille avec satisfaction les lois importantes promulguées par l’État partie, à savoir:

Le cadre législatif complet adopté en 2004 en matière de lutte contre la discrimination;

La loi de 2002 relative à l’égalité de salaire entre hommes et femmes pour un travail identique ou un travail de valeur égale, la loi relative à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de formation professionnelle, et la modification de la loi relative à la maternité;

La loi de 2000 relative à la violence dans la famille et l’établissement d’un Comité consultatif sur la violence familiale;

La législation réprimant la traite promulguée en 2007, qui crée notamment un mécanisme national de coopération pour l’identification et la protection des victimes.

5.Le Comité se félicite aussi de l’institution, conformément à la loi no 74 (I) de 2007, du Commissaire aux droits de l’enfant et des activités de sensibilisation déjà menées dans le cadre de ce mécanisme.

6.Le Comité note avec satisfaction que, depuis octobre 2008, les secteurs d’activité ouverts aux demandeurs d’asile sont plus nombreux, ce qui accroît leurs chances de bénéficier de conditions de vies décentes pour eux-mêmes et leur famille.

7.Le Comité prend note avec satisfaction de l’intention de l’État partie de signer et de ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre du Pacte

8.Le Comité considère que la division persistante du pays constitue une difficulté majeure qui entrave la capacité de l’État partie de mettre en œuvre le Pacte sur l’ensemble du territoire.

D. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

9.Le Comité note avec préoccupation que l’Institution nationale pour la protection des droits de l’homme n’est toujours pas conforme aux Principes de Paris de 1993 concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme.

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter les mesures devant permettre à l ’ Institution nationale pour la protection des droits de l ’ homme de se conformer pleinement aux Principes de Paris. Il demande aussi instamment à l ’ État partie de veiller à ce que le mandat de l ’ Institution nationale des droits de l ’ homme porte sur l ’ ensemble des droits économiques, sociaux et culturels et à ce que celle-ci se voie allouer les ressources nécessaires à son bon fonctionnement.

10.Le Comité est profondément préoccupé par la discrimination de fait dont continuent de faire l’objet les migrants de pays tiers, les Chypriotes turcs et les minorités nationales, surtout les Roms et les Grecs pontiques. Il s’inquiète aussi de l’absence de jurisprudence dans le domaine de la lutte contre la discrimination, et ce, malgré les mesures adoptées par l’État partie pour renforcer ses mécanismes juridiques et institutionnels en la matière. Il note avec préoccupation que les Chypriotes turcs continuent de rencontrer des obstacles administratifs et linguistiques pour obtenir la délivrance de documents officiels (art. 2, par. 2).

Le Comité prie instamment le Gouvernement de renforcer les campagnes de sensibilisation au cadre juridique de la lutte contre la discrimination et de veiller à ce que les victimes bénéficient d ’ une assistance judiciaire gratuite afin qu ’ elles puissent engager des poursuites devant tous les tribunaux compétents de l ’ État partie. Il recommande aussi au Gouvernement de prendre toutes les mesures voulues afin de lever les obstacles administratifs et linguistiques que rencontrent les Chypriotes turcs pour obtenir la délivrance de documents officiels.

11.Le Comité est préoccupé par le fait que le bureau du Médiateur n’est pas doté des ressources humaines et financières suffisantes pour s’acquitter des tâches supplémentaires découlant des fonctions additionnelles qui lui ont été confiées en sa qualité d’organe de lutte contre la discrimination (art. 2, par. 2).

Le Comité engage l ’ État partie à augmenter les ressources humaines et financières allouées au nouvel organe de lutte contre la discrimination afin de garantir le bon fonctionnement de cette institution.

12.Le Comité note avec regret que, malgré l’amendement à la loi de 2002, les enfants des femmes ayant le statut de personne déplacée n’ont toujours pas droit à une carte d’identité de réfugié et ne peuvent obtenir qu’un certificat d’ascendance qui ne leur permet de bénéficier d’aucune prestation (art. 2, par. 2 et art. 9).

Le Comité prie instamment le Gouvernement d ’ adopter des mesures concrètes pour mettre fin au traitement discriminatoire dont font l ’ objet les enfants de femmes ayant le statut de personne déplacée.

13.Le Comité est préoccupé par la discrimination de fait dont les femmes continuent de faire l’objet dans l’État partie, en particulier dans le domaine de l’emploi, de la promotion professionnelle et des salaires où les écarts entre hommes et femmes sont les plus importants de tous les pays de l’Union européenne. Il s’inquiète aussi de la sous-représentation persistante des femmes aux postes de responsabilité, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé (art. 3).

Le Comité demande à l ’ État partie de veiller à ce que les mesures énoncées dans le Plan d ’ action national en faveur de l ’ égalité des sexes 2007-2013 soient intégralement appliquées, en particulier celles qui visent à accroître la présence des femmes sur le marché du travail et dans la fonction publique, et de garantir l ’ égalité de traitement entre hommes et femmes, notamment une rémunération égale pour un travail de valeur égale. Il encourage aussi l ’ État partie à accroître les ressources financières et humaines allouées au Mécanisme national pour les droits des femmes, ainsi qu ’ à renforcer l ’ autorité et le rôle de ce dernier.

14.Le Comité constate avec inquiétude que les migrants de pays tiers continuent d’avoir un accès restreint à l’emploi, de constituer une main‑d’œuvre exploitée et d’être socialement isolés, en particulier ceux qui travaillent dans l’élevage et dans l’agriculture. Il s’inquiète aussi du fait que, bien que les migrants de pays tiers représentent une proportion importante de la population de l’île où ils vivent en situation régulière, l’État partie n’a pas encore adopté de politique concrète en vue de leur intégration (art. 6 et 7).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de veiller à ce que les conditions d ’ emploi et de travail des travailleurs migrants soient strictement contrôlées, en augmentant les ressources financières et humaines affectées aux services d ’ inspection du travail. Il encourage aussi l ’ État partie à envisager de ratifier la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ainsi qu ’ à adopter et à mettre en œuvre une vraie politique d ’ intégration des migrants en situation régulière.

15.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas communiqué d’informations ou de données suffisantes sur les migrants sans papiers travaillant sur son territoire, qui continuent de faire l’objet de discriminations en matière de conditions de travail et de rémunération (art. 7).

Le Comité demande à l ’ État partie de prendre des mesures concrètes pour prévenir la discrimination à l ’ encontre des migrants sans papiers. Il l ’ encourage aussi à favoriser la régularisation de ces migrants afin qu ’ ils puissent jouir pleinement de leurs droits économiques, sociaux et culturels. L ’ État partie devrait également fournir des informations sur la situation des travailleurs migrants sans papiers dans son prochain rapport périodique.

16.Le Comité souligne à nouveau son inquiétude (E/C.12/1/Add.28, par. 13) au sujet de la situation précaire des employés de maison et estime que les restrictions qui leur sont imposées pour changer d’employeur augmentent leur vulnérabilité et les empêchent de dénoncer des conditions de travail abusives (art. 7).

Le Comité prie instamment l ’ État partie de veiller à ce que les conditions de travail des employés de maison soient dûment réglementées et contrôlées, afin qu ’ ils puissent jouir de la même protection juridique que les autres travailleurs, notamment en matière de salaire minimum.

17.Le Comité est inquiet de constater que le salaire minimum n’est pas suffisant pour assurer un niveau de vie décent aux travailleurs et à leur famille (art. 7).

Le Comité prie instamment l ’ État partie de prendre les mesures législatives nécessaires pour que le salaire minimum permette aux travailleurs et à leur famille de jouir d ’ un niveau de vie décent et que les dispositions relatives au salaire minimum soient effectivement appliquées.

18.Le Comité s’inquiète des obstacles administratifs qui empêchent les migrants de pays tiers et les demandeurs d’asile de jouir de leurs droits économiques, sociaux et culturels, et surtout de leurs droits à la sécurité sociale et au regroupement familial. Il est profondément préoccupé par le nombre de demandeurs d’asile ayant des besoins spéciaux qui se voient refuser l’accès aux soins médicaux spécialisés qui leur sont nécessaires et dont peuvent bénéficier les Chypriotes et les ressortissants des pays de l’Union européenne (art. 9).

Le Comité engage l ’ État partie à fournir aux demandeurs d ’ asile et aux migrants de pays tiers une aide juridique gratuite concernant leurs droits économiques, sociaux et culturels. Il lui demande aussi instamment de veiller à ce que les demandeurs d ’ asile, surtout les sans ‑abri , ne se voient plus imposer des conditions qui ne sont pas prescrites par la loi et qui ont pour effet de les priver de leur droit légitime à la sécurité sociale. Il l ’ exhorte également à s ’ assurer que les demandeurs d ’ asile ayant des besoins médicaux spéciaux puissent bénéficier de soins médicaux spécialisés et de prestations sociales ciblées, et, s ’ agissant de personnes ayant été torturées, qu ’ elles puissent se tourner vers des structures auprès desquelles elles pourront se faire connaître sans tarder et bénéficier d ’ une aide à la réadaptation.

19.Le Comité s’inquiète du fait que la violence familiale contre les femmes et les enfants reste un phénomène répandu et rarement signalé dans l’État partie (art. 10).

Le Comité prie instamment l ’ État partie d ’ adopter une stratégie efficace pour lutter contre la violence familiale et d ’ affecter les ressources humaines et financières nécessaires à sa mise en œuvre. Il demande à l ’ État partie de fournir, dans son prochain rapport périodique, des informations sur les cas de violence familiale portés devant la justice et sur les sanctions prononcées. Il lui demande aussi de veiller à ce que des foyers spécialisés accueillent les victimes réelles ou potentielles d ’ actes de violence afin d ’ assurer leur sécurité et de préserver leur intégrité physique et psychique.

20.Le Comité demeure gravement préoccupé par l’ampleur de la traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle dans l’État partie, et ce, malgré l’abrogation des visas d’artistes qui facilitaient la traite des êtres humains (art. 10).

Le Comité prie instamment le Gouvernement de veiller à ce que le nouveau système de permis de travail soit strictement contrôlé, de redoubler d ’ efforts pour traduire en justice ceux qui participent à la traite d ’ êtres humains et de s ’ employer à mieux protéger les femmes qui en sont victimes. Il recommande aussi de renforcer et de mettre en œuvre le mécanisme national de coopération entre les administrations publiques et les organisations non gouvernementales, prévu dans la nouvelle loi.

21.Le Comité constate avec inquiétude que l’État partie n’a pas adopté de mesure particulière pour résoudre le problème des logements non conformes aux normes d’habitabilité minimale dans lesquels vivent les migrants de pays tiers et les demandeurs d’asile, et qu’il continue de considérer qu’il appartient aux employeurs de proposer des logements convenables. Il reste préoccupé par les mauvaises conditions de vie de certaines familles roms, malgré les deux projets de construction de logements élaborés par le Gouvernement (art. 11).

Le Comité prie instamment l ’ État partie de prendre des mesures correctives en vue d ’ améliorer les conditions de logement et de fournir davantage d ’ unités d ’ habitation, de crédits et de subventions aux familles à faible revenu ainsi qu ’ aux groupes défavorisés et marginalisés. À cet égard, il rappelle à l ’ État partie que, selon son Observation générale n o  4 relative au droit à un logement adéquat, les États parties doivent notamment démontrer qu ’ ils ont fait ce qu ’ il fallait, soit sur le plan national, soit dans le cadre de la coopération internationale, pour prendre pleinement la mesure du phénomène des sans ‑abri et de l ’ insuffisance de logements sur leur propre territoire.

22.Le Comité s’inquiète de la détention prolongée dans des conditions inadéquates des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés (art. 11).

Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que les demandeurs d ’ asile ne soient détenus qu ’ en cas d ’ absolue nécessité et à ce que la durée de détention des demandeurs d ’ asile déboutés et des migrants en situation irrégulière soit limitée au strict minimum. Il prie aussi instamment l ’ État partie de s ’ assurer que les conditions de détention des migrants sont conformes aux normes des Nations Unies.

23.Le Comité, rappelant ses précédentes observations finales (E/C.12/1/Add.28, par. 16), s’inquiète de l’absence de structures médicales adaptées pour les personnes atteintes d’incapacité ou de maladie mentale, qui sont souvent transférées dans des foyers pour personnes âgées ou des institutions qui ne sont pas équipées pour répondre à leurs besoins spéciaux (art. 12).

Le Comité prie instamment l ’ État partie d ’ adopter dans les meilleurs délais les mesures législatives ou autres qui s ’ imposent afin de remédier à l ’ absence de structures médicales pour les personnes atteintes d ’ incapacité ou de maladie mentale. Il recommande aussi que des inspections régulières aient lieu afin d ’ empêcher toute maltraitance à l ’ égard de ces personnes.

24.Le Comité est préoccupé de constater que les possibilités pour les enfants chypriotes turcophones de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle sont encore limitées (art. 13).

Le Comité prie instamment l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les enfants chypriotes turcs puissent plus aisément recevoir un enseignement dans leur langue maternelle. Il l ’ encourage aussi à mieux veiller à ce que l ’ enseignement scolaire réponde aux besoins d ’ une société pluriculturelle et à réviser les programmes scolaires afin de mieux faire connaître la contribution des communautés et minorités chypriotes à l ’ histoire de l ’ État partie.

25.Le Comité est gravement préoccupé par la circulaire publiée en 2004 dans laquelle le Ministère de l’éducation demande à tous les chefs d’établissement de communiquer aux services d’immigration les coordonnées des parents d’enfants étrangers qui s’inscrivent dans leur établissement. Il considère que cette circulaire soumet les enfants de migrants à une discrimination directe ou indirecte et entrave leur accès à l’éducation (art. 13).

Le Comité, rappelant son Observation générale n o  13 relative au droit à l ’ éducation, selon laquelle l ’ éducation doit être accessible à tous en droit et en fait, notamment aux groupes les plus marginalisés et défavorisés, sans discrimination fondée sur une quelconque des considérations sur lesquelles il est interdit de la fonder, engage l ’ État partie à envisager le retrait de cette circulaire.

26.Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de ratifier la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif qui s’y rapporte.

27.Le Comité demande à l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales dans tous les secteurs de la société, de les faire traduire et connaître dans la mesure du possible dans les langues parlées à Chypre, et de l’informer, dans son prochain rapport périodique, de toutes les mesures qu’il aura prises pour les mettre en œuvre. Il l’encourage également à continuer d’associer des organisations non gouvernementales et d’autres membres de la société civile au processus de discussion au niveau national avant la présentation de son prochain rapport périodique.

28. Le Comité prie l’État partie de présenter son sixième rapport périodique d’ici au 30 juin 2014.

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